Résister à la Honte et Choisir de Vivre au travers de l'Oeil d'Amour

De Wiki Pratiques Narratives
Aller à : navigation, rechercher

Auteure : Stephanie Arel
Source : Resisting Shame and Choosing to Live through the Loving Eye by Stephanie N. Arel
Date : 07/06/2017


Traducteur : Fabrice Aimetti
Date : 05/10/2018


Traduction :

Stephanie-arel-e1491404388460.jpg

Cette semaine, j'ai terminé la lecture du livre Politics of Reality: Essays in Feminist Theory de Marilyn Frye, texte sur lequel je n'étais pas tombé lors de mes études sur le féminisme (théorie littéraire, psychologie, philosophie ou théologie). D'une certaine manière, j'aurais souhaité l'avoir lu plus tôt. D'une autre manière, je suis reconnaissante de cette toute nouvelle rencontre. De mon point de vue, théorique et personnel, j’ai été plus à même d’entendre le message fondamental que Frye transmet que si c'était arrivé par le passé. J'ai moins à me protéger aujourd'hui, et mon ego est moins fragile. Dans ce texte, elle cite les mécanismes autour desquels s'articulent les cultures occidentale et patriarcale. Son argument est clair et convaincant, même s'il menace la stabilité offerte par ces cultures. Nos vies y sont enracinées, même si notre éthique personnelle tend vers des modes de vie alternatifs et féministes. Frye pousse ses lecteurs / lectrices à vivre autrement, afin que nous puissions reconnaître les moments où nous conspirons contre / alimentons / respectons les messages patriarcaux et où nous laissons couler les derniers résidus de servitude le long de notre peau.


Pour les besoins de cet article, j'introduis deux concepts opposés que Frye présente dans son texte : l'oeil arrogant et l'oeil d'amour. Dans le chapitre intitulé "En danger et à l'écart du danger : Arrogance et Amour", Frye étudie comment les hommes de la culture phallocentrique (NdT : domination masculine) exploitent et asservissent les femmes. Les regards opposés et contradictoires de l'arrogance et de l'amour sont directement liés à l'expérience de la honte, qui sert à soumettre de façon très efficace les femmes à la culture patriarcale.

La honte fonctionne selon une logique que j'appelle "une logique d'exposition". La honte est intimement liée au concept d'être vu.e. Affectivement, la honte découle du fait que notre intérêt / exaltation est partiellement tronqué. Par exemple, nous sommes attirés par une personne (réelle ou imaginaire), nous sommes intéressés par la réponse qu'il nous fait, et nous supposons que quelque chose interfère avec le désir de cette connexion. Le contact est coupé et l'intérêt / l'exaltation est partiellement interrompue. La honte en découle. Nous faisons l'expérience qu'une personne (réelle ou imaginaire) nous voit comme quelqu'un d'autre, différent, étranger, dénigré, mauvais ou sans valeur. Nous sommes perçu.es de la mauvaise manière. Cette perception erronée atténue la joie et parle du regard de cet oeil arrogant sous lequel (en tant que regard par défaut de la culture phallocentrique) nous nous trouvons souvent en quête d'approbation.

L’œil arrogant part de l’hypothèse que la nature entière existe en tant que ressource pour son exploitation par l’homme. Cohérente avec le mythe occidental selon laquelle la création de la femme est liée à son rôle d'auxiliaire de l’homme, cette vision du monde conduit à la logique selon laquelle tout est soit "pour moi" soit "contre moi" (67). Un exemple de ceci est facile à trouver lorsqu'on regarde comment cela fonctionne à la Maison Blanche. L'oeil arrogant est menaçant, manipulateur et malhonnête. Incarné dans le personnage de l'homme oppressif, cet oeil "tente d'accomplir brièvement ce que les esclavagistes et les auteurs de violence sur mes esclaves ont accompli en utilisant de manière prolongée la force physique, et il réussit dans une large mesure" (67) à assujettir et à contrôler. La honte - une réaction qui pousse les femmes à se cacher, à se retirer, à se faire violence, à disparaître, à se taire, à suivre les règles établies par la culture patriarcale, ... la liste est sans fin - est un moyen efficace pour l'oeil arrogant qui, au lieu de voir les femmes comme des agents à part entière, voit les femmes comme des outils pour atteindre des objectifs très particuliers.

D'un tout autre point de vue, ll'oeil d'amour voit la personne pour ce qu'elle est vraiment : précieuse, digne et capable. "L'observateur aimant", écrit Frye, "peut voir sans présupposer que l’autre représente une menace constante ou que l’autre existe à son service... Celui ou celle qui voit avec un oeil d'amour est séparé.e de l’autre personne qu’elle voit. Il y a des frontières entre elles" (74-75). Les frontières empêchent l'engloutissement de soi par l'oeil arrogant qui souhaite que les autres fonctionnent à son service, qu'ils soient asservis. L'oeil d'amour n'a pas peur des frontières, de la force et de l'initiative et, plutôt que d'humilier, il restaure l'intérêt et la curiosité pour l'autre. Cet oeil d'amour apprécie, connaît et accepte l'indépendance de l'autre. Cet oeil est en contradiction avec la honte car, plutôt que d'imposer des conditions ou d'exiger certains comportements, cet oeil "regarde et écoute, examine et questionne" (75). L'oeil d'amour est donc à la fois généreux et ouvert / tolérant. L'oeil d'amour comprend la complexité de l'autre. Cette simple compréhension contredit le dévalorisant message d'indignité de la honte véhiculé par l'oeil arrogant.