Le travail avec les Équipes réfléchissantes sous forme de Cérémonie définitionnelle (version revisitée)

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Révision datée du 21 juillet 2019 à 10:20 par Fabrice Aimetti (discussion | contributions) (CÉRÉMONIE DÉFINITIONNELLE)
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Reflecting-team work as definitional ceremony revisited by Michael White


Chapitre 4 du livre : White, M. 2000 : Reflections on Narrative Practice: Essays and interviews. Adélaide: Dulwich Centre Publications. Copyright © 2000 by Dulwich Centre Publications.


Traduction de Fabrice Aimetti avec l'aimable autorisation de David Denborough, le 19 juillet 2019.


INTRODUCTION

Cet article a été publié pour la première fois dans le numéro de 1999, Vol.1 de Gecko : a journal of deconstruction and narrative ideas in therapeutic practice.


Cet article met l'accent sur la métaphore de la cérémonie définitionnelle et sur la structure que cela donne au travail avec les équipes réfléchissantes. J'ai écrit ceci pour compléter deux autres articles sur ce sujet (White, 1995, 1997). Je n'ai pas l'intention de reproduire ici des aspects significatifs de ces deux articles, ni d'en faire un résumé. Je voulais plutôt écrire un article qui compléterait ce que j'ai déjà écrit sur ce sujet, afin que les trois articles puissent être lus ensemble.


Au début de cet article, j'aborde la distinction structuralisme / poststructuralisme. Je crois que la compréhension de cette distinction est essentielle pour apprécier le fonctionnement de la cérémonie définitionnelle et la contribution de la cérémonie définitionnelle à la formation de l'identité. J'aborde ensuite l'accent que la thérapie narrative a toujours mis sur l'identification et le recrutement de publics pour les développements préférés de la vie des gens. Par la suite, je visite certaines des contributions de Barbara Myerhoff à la compréhension du fonctionnement de la cérémonie définitionnelle, avant de décrire plus en détail certaines des pratiques d'équipe réfléchissante qui sont basées sur cette compréhension. Enfin, je me concentrerai sur certains des problèmes auxquels les équipes réfléchissantes se heurtent invariablement lorsqu'elles s'engagent dans ces pratiques.

TRADITIONS DE PENSÉES ET DE PRATIQUES

Les pratiques de la thérapie narrative s'appuient sur des conceptions post-structuralistes ou non structuralistes de la vie et de l'identité. En mettant l'accent sur les conceptions post-structuralistes ou non-structuralistes au début de cet article, je souhaite attirer l'attention sur l'importance des traditions de pensée en ce qui concerne les implications pour la pratique thérapeutique. Et j'insiste sur ce point au début de cet article à propos du travail avec les équipes réfléchissantes pour plusieurs raisons. Premièrement, je crois qu'il existe un lien inséparable entre la pensée et la pratique, et ne pas faire de distinctions entre les différentes traditions de pensée peut avoir pour effet de nous enchaîner, au nom de la démarche thérapeutique, à la reproduction sans se poser de questions des habitudes de pensée et d'action de la culture occidentale contemporaine. Lorsque c'est le cas, il est davantage probable que la thérapie renforce les modes de vie dominants de cette culture, plutôt que de présenter des options qui pourraient contribuer à la remise en question de ces modes de vie.


Deuxièmement, j'établis cette distinction parce que bon nombre des pratiques de la thérapie narrative contrastent de façon significative avec les pratiques de la thérapie qui découlent des conceptions structuralistes de l'expression de la vie des gens. Mais on en perd souvent l'appréciation. À notre époque actuelle, les prémisses de la pensée structuraliste sont si spontanément assumées et si profondément enracinées dans la culture du soutien psychologique / psychothérapie que beaucoup des propositions de pratique qui sont intégrées sous l'égide de la thérapie narrative sont régulièrement considérées comme une révision des bien connues idées et pratiques structuralistes - par exemple, elles sont souvent considérées comme un recyclage des approches humanistes du suivi psychologique.


Troisièmement, je fais cette distinction ici parce que les pratiques de l'équipe réfléchissante qui font l'objet de cet article sont fondées sur des conceptions post-structuralistes ou non structuralistes de la vie et de l'identité. Je crois que bien distinguer structuralisme et post-structuralisme dans l'exploration des pratiques thérapeutiques, y compris celles de l'équipe réfléchissante, contribue à une appréciation de la spécificité de ces pratiques. Cette distinction sert aussi de base pour nous unir les uns aux autres dans le développement de ces pratiques - d'aller au-delà des limites de ce que l'on sait d'elles.


Conceptions structuralistes

Je crois qu'il serait utile pour la discussion qui va suivre sur le travail avec les équipes réfléchissantes de prendre une pause pour faire ressortir un peu cette distinction structuraliste / post-structuraliste. Donc, d'abord un mot sur le structuralisme. Sans aucun doute, ce que l'on pourrait appeler le "projet structuraliste" a connu un succès spectaculaire. Après quatre ou cinq cents ans de développement des conceptions structuralistes de la vie, la pensée structuraliste est maintenant omniprésente dans la culture occidentale contemporaine - à tel point qu'il est devenu assez difficile de penser à la vie sans ces conceptions.


Une caractéristique de la pensée structuraliste est le contraste surface / profondeur. C'est dans les termes de ce contraste que les expressions de la vie des gens sont considérées comme des comportements qui sont des manifestations superficielles d'éléments particuliers ou d'essences particulières. Il est généralement admis que ces éléments ou essences peuvent être découverts en sondant les profondeurs de la vie des gens. Ils sont considérés comme les éléments constitutifs de l'identité, et sont considérés comme étant ce qui est conçu comme le centre de la personne - un centre que l'on appelle invariablement le "moi". Dans la culture occidentale, il est désormais courant d'admettre que tout le monde possède l'un de ces "moi", et il est généralement admis que le soi et l'identité sont inextricablement liés - que l'identité est un produit du soi ou est synonyme du soi.


Quelles sont certaines des implications de cette tradition structuraliste de la pensée ? Si les actions et les expériences de la vie des gens qui les amènent au suivi psychologique /à la thérapie sont comprises comme des expressions qui sont des manifestations superficielles de "vérités" plus profondes - par exemple, de certains éléments ou essences d'un soi que l'on trouve au centre de l'identité - alors ces expressions exigent une interprétation experte. Cette exigence conduit à la production de théories, à la construction de systèmes d'analyses fondés sur ces théories qui peuvent être posées sur la vie des gens, et au développement de techniques professionnelles de réparation qui corrigeront ce qui ne va pas au centre de leur identité.


Conceptions post-structuralistes

Malgré l'acceptation large et incontestée du lien entre l'identité et le soi, les historiens de la pensée (par exemple, Michel Foucault), les anthropologues culturels (par exemple, Clifford Geertz) et d'autres disciplines aussi disparates en apparence que la théorie littéraire et la science, ont attiré l'attention sur le fait que l'habitude d'associer la soi à l'identité est un phénomène relativement récent. Mais plus encore : ils ont démontré à quel point l'idée qu'il existe une chose telle qu'un "moi", qui réside au centre de la personne, et qui est source de sens et d'action, est, dans l'histoire des cultures du monde, une idée remarquablement nouvelle.


Les conceptions post-structuralistes rendent compte de l'identité en tant que réalisation sociale et publique - l'identité est quelque chose qui se négocie au sein des institutions sociales et des communautés de personnes - et est façonnée par des forces historiques et culturelles. En explorant les mécanismes qui donnent naissance à l'identité dans ces contextes, la structure de la narration fait souvent l'objet d'un examen minutieux, car les gens négocient couramment le sens dans le contexte des cadres narratifs - ils attribuent un sens à leurs expériences des événements de leur vie en les situant dans des séquences qui se déroulent dans le temps selon certains thèmes ou trames. Et plus encore : c'est dans ce "récit" de l'expérience que les gens tirent des descriptions identitaires qui sont classées dans les catégories identitaires de la culture moderne - motivation, besoin, attributs, caractéristiques, propriétés, etc. Selon cette vision post-structuraliste de la vie, ce n'est pas la motivation qui façonne l'action, mais c'est le compte rendu de la motivation qui a socialement dérivé de négociations narratives.


Par rapport aux conceptions structuralistes de la vie qui s'appuient sur le contraste surface / profondeur, une caractéristique de la pensée post-structuraliste est le contraste des métaphores "mince" et "épaisse" [note 1]. En s'engageant dans ce contraste mince / épais, plutôt que de reproduire les pratiques thérapeutiques consacrées de l'interprétation des expressions de la vie des gens par le recours aux discours des connaissances expertes de la culture de la thérapie et des actions réparattrices de la part du thérapeute (qui contribuent à une description mince), les pratiques de la thérapie narrative aident les gens à sortir des conclusions minces sur leur vie, sur leur identité et sur leurs relations. Mais plus encore : ces pratiques narratives donnent aussi aux gens l'occasion de s'engager dans une description épaisse ou riche de leur vie, de leur identité et de leurs relations. Au fur et à mesure que les gens acquièrent des ressources narratives grâce à la génération de cette description épaisse ou riche, ils découvrent qu'ils ont à leur disposition des possibilités d'action qui n'auraient pas été imaginables autrement.


Certaines des pratiques de la thérapie narrative qui s'engagent dans ce contraste post-structuraliste d'épaisseur et de finesse sont façonnées par la métaphore de la "cérémonie définitionnelle". La cérémonie définitionnelle en tant que pratique post-structuraliste fera l'objet de la prochaine section de cet article.

CÉRÉMONIE DÉFINITIONNELLE

Dans la documentation sur la thérapie narrative, on trouve diverses micro-cartes de pratique qui peuvent servir de guides pour aider les gens à rompre avec les conclusions minces au sujet de leur vie et de leur identité, et qui offrent des options pour s'associer aux gens dans la génération des descriptions riches ou épaisses de ces vies et identités (par exemple, Freedman et Combs, 1996 ; Zimmerman et Dickerson, 1996 ; Monk et al, 1997 ; Freeman et al, 1997 ; White & Epston, 1991 ; White, 1995 et 1997). Dans cet essai, je me concentrerai sur la carte qui s'inspire de la métaphore de la "cérémonie définitionnelle". La métaphore de la cérémonie définitionnelle est une métaphore qui contribue à la structuration de la thérapie comme contexte pour narrer (telling) et re-narrer (retelling) les histoires de la vie des gens. Il y a une spécificité à ces narrations et re-narrations qui constituent les cérémonies définitionnelles - il ne s'agit pas dire que "tout est possible" - dont j'ai tiré certains éléments dans des articles qui ont été publiés ailleurs (White, 1995, 1997). Je n'ai pas l'intention de reproduire ici le contenu de ces articles déjà publiés, mais de décrire certaines des particularités de la cérémonie définitionnelle d'une manière qui les complétera.


Mais d'abord quelques observations générales sur la structure de la cérémonie définitionnelle. La métaphore de la cérémonie définitionnelle guide la structuration des tribunes dans lesquelles certaines personnes ont l'occasion de narrer certaines des histoires significatives de leur vie - des histoires qui, d'une manière ou d'une autre, sont pertinentes par rapport aux questions d'identité personnelle et relationnelle. Un public ou un groupe de "témoins extérieurs" sont également présents à cette tribune. Les membres de ce groupe écoutent attentivement les histoires racontées et se préparent à s'engager dans une re-narration de ce qu'ils ont entendu. Le moment venu, les positions changent - les personnes dont la vie est au centre de la cérémonie définitionnelle forment un public pour les re-narrations du groupe de témoins extérieurs. Ces re-narrations englobent des aspects de la narration originale. Mais plus encore, les re-narrations du groupe de témoins extérieurs dépassent régulièrement les limites de la narration originale de façon significative, de façon à contribuer à une description riche de l'identité personnelle et relationnelle des personnes dont la vie est au centre de la cérémonie. Ces re-narrations y parviennent en partie en établissant un lien entre les récits de la vie de ces personnes et les récits de la vie d'autrui, autour de thèmes, de valeurs, de buts et d'engagements communs.


Après ces re-narrations, les membres du groupe de témoins extérieurs reviennent en position de public et les personnes dont la vie est au centre de la cérémonie ont l'occasion de parler de ce qu'elles ont entendu. À ce moment, ces personnes sont engagées dans une deuxième re-narration ; c'est-à-dire dans une re-narration des re-narrations du groupe des témoins extérieurs. Dans ces tribunes, il peut y avoir d'autres niveaux de participation de témoins extérieurs et d'autres re-narrations de re-narrations.

L'ÉQUIPE RÉFLÉCHISSANTE

REMARQUES EN GUISE DE CONCLUSION

NOTES

  1. Ces métaphores sont régulièrement reprises par des anthropologues culturels post-structuralistes comme Clifford Geertz (1973), Barbara Myerhoff (1982) et Renato Rosaldo (1992). Emprunté à l'origine à Gilbert Ryle, le contraste mince / épais (thin/thick) fournit un outil de réflexion pour l'enquête poststructuraliste.
  2. Pour une discussion plus approfondie de cette distinction dégradante/regradante en ce qui concerne le rituel social, voir Epston (1989).
  3. Définir ainsi la notion d'être "déplacé" de cette manière n'exclut pas la reconnaissance des expériences affectives associées, et le fait d'être déplacé comme étant transporté inclut invariablement une certaine expression de cette expérience affective associée.
  4. Je suis reconnaissante à Penny Revel de m'avoir rappelé qu'à l'époque classique, la catharsis était souvent vécue dans le contexte communautaire.
  5. La catharsis moderne est aussi façonnée par l'adoption populaire et générale de la "confession" dans la pratique de la psychothérapie (Foucault, 1984).
  6. J'ai trouvé le travail de Gaston Bachelard sur l'image très utile pour réfléchir sur l'orientation du témoin extérieur (1969).

RÉFÉRENCES

Andersen, T. 1987: ‘The reflecting team: Dialogue and meta-dialogue in clinical work.’ Family Process, 26:415-428.

Bachelard, G. 1969: The Poetics of Space. Boston: Beacon Press.

Epston, D. 1989: ‘Guest Address: Fourth Australian Family Therapy Conference.’ In Epston, D., Collected Papers. Adelaide: Dulwich Centre Publications.

Freedman, J. & Combs, G. 1996: Narrative Therapy: The social construction of preferred realities. New York: Norton.

Freeman, J., Epston, D. & Lobovits, D. 1997: Playful Approaches to Serious Problems: Narrative therapy with children and their families. New York: Norton.

Friedman, S. (ed) 1995: The Reflecting Team in Action: Collaborative practice in family therapy. New York: Guilford Press.

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Myerhoff, B. 1986: ‘Life not death in Venice: Its second life.’ In Turner, V. & Bruner, E. (eds), The Anthropology of Experience. Chicago: University of Illinois Press.

Monk, G., Winslade, J., Crocket, K. & Epston, D. 1987: Narrative Therapy in Practice: The archaeology of hope. San Francisco: Jossey-Bass.

Rosaldo, R. 1992: Culture and Truth: The remaking of social analysis. Boston: Beacon Press.

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White, M. 1991: ‘Deconstruction and therapy.’ Dulwich Centre Newsletter, 3. (Reprinted in Epston, D. & White, M. 1992: Experience, Contradiction, Narrative & Imagination. Adelaide: Dulwich Centre Publications.)

White, M. 1995: Re-authoring Lives: Interviews and essays. Adelaide: Dulwich Centre Publications.

White, M. 1997: Narratives of Therapists’ Lives. Adelaide: Dulwich Centre Publications.

White, M. & Epston, D. 1990: Narrative Means to Therapeutic Ends. New York: Norton.

Zimmerman, J. & Dickerson, V. 1996: If Problems Talked: Narrative therapy in action. New York: Guilford Press.