Le travail avec les Équipes réfléchissantes sous forme de Cérémonie définitionnelle

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Reflecting Team work as Definitional Ceremony by Michael White


Chapitre 7 du livre : White, M. 1995 : Re-Authoring Lives : Interviews and Essays. Adélaide: Dulwich Centre Publications. Copyright © 1995 by Dulwich Centre Publications.


Traduction de Fabrice Aimetti


La tradition consistant à travailler avec des équipes thérapeutiques et à utiliser des miroirs sans tain dans ce travail est une chose bien établie dans le domaine de la thérapie familiale. Bon nombre des premiers développements dans ce type de travail d'équipe ont été mis au point par Milan Associés et par la faculté de l'Institut Ackerman à New York. Dans cette tradition, les membres de l'équipe restaient derrière le miroir sans tain et restaient toujours invisibles pour les personnes qui les consultaient. C'était le rôle de l'équipe d'élaborer des hypothèses systémiques - sur le "système familial" et sur le "système thérapeutique" - et de préparer les interventions, en fonction de ces hypothèses, qui devaient être réalisées par l'interviewer. Quels que soient les mérites de cette façon de structurer la participation de l'équipe et quels que soient les développements ultérieurs dans la théorisation de ce travail et dans l'intérêt de l'équipe, l'autonomie et l'anonymat de l'équipe ont soulevé diverses questions de nature éthique et politique auxquelles plusieurs thérapeutes - dont plusieurs de ceux qui ont joué un rôle significatif dans l'évolution de cette tradition - ont commencé à se confronter.


En 1987, Tom Andersen en Norvège a publié son article "L'Équipe Réfléchissante : Conversation et méta-conversation dans le travail clinique. Cet article a présenté au monde de la thérapie familiale une conception très différente du travail d'équipe thérapeutique et une notion très différente de la participation des membres de l'équipe. Ces développements ont été accueillis avec enthousiasme par de nombreux thérapeutes qui appréciaient les possibilités associées au travail avec des équipes thérapeutiques, mais qui trouvaient les questions éthiques soulevées par l'équipe autonome et anonyme de plus en plus difficiles à ignorer. Karl Tomm était l'un de ces thérapeutes, et il m'a initié à la notion d'équipe réfléchissante à la fin des années 1980. Karl, toujours à l'affût de nouvelles possibilités dans ce travail et de plus en plus préoccupé par les questions d'éthique sur le terrain, avait pris des dispositions pour rencontrer Tom Andersen afin d'avoir une expérience directe de ce travail avec une "équipe réfléchissante". Il était sorti de cette réunion très enthousiaste et m'a encouragé à explorer les structures d'équipe réfléchissantes dans mon propre travail. En réponse, j'ai exprimé certaines préoccupations - du moins, j'en ai exprimé la moitié, parce que je ne pense pas que je savais les exprimer de façon très adéquate - et j'ai levé quelques questions. Plus tard, j'ai réussi à mieux organiser mes réflexions autour de certaines de ces préoccupations et questions, et elles sont ressorties comme ceci :

  1. Je n'ai eu aucune difficulté à apprécier le fait que le format de l'équipe réfléchissante pouvait être une expérience très puissante pour les personnes consultant des thérapeutes, mais puissante dans quel sens ? J'avais été un témoin direct, à de nombreuses occasions, de l'effet fortement négatif que l'ouverture de la traditionnelle visite quotidienne pouvait avoir sur les "patients" dans les hôpitaux psychiatriques. J'étais donc sûr qu'il n'y avait rien d'intrinsèque à l'ouverture du format de l'équipe réfléchissante qui le rendrait nécessairement thérapeutique dans ses effets. Quelle forme pourraient prendre les réflexions, me demandais-je, afin d'atténuer les effets négatifs possibles de cette ouverture ?
  2. J'étais tout à fait conscient du fait que, dans la culture de la psychothérapie, la plupart des interactions entre les thérapeutes et les personnes qui les consultent s'appuient sur des discours pathologisants. Ces discours s'appuient sur des façons de parler de la vie des gens et des pratiques relationnelles considérées comme des acquis et qui ont pour effet de marginaliser et d'objectiver les gens qui cherchent de l'aide. Quel type d'exigences en matière de réflexion sur les pratiques d'équipe réléchissante serait nécessaire pour ébranler ce potentiel de marginalisation et d'objectivation ?
  3. Plus précisément, je connaissais le penchant de nombreux thérapeutes familiaux à s'engager dans les traditionnelles analyses structuralistes et fonctionnalistes des événements dans la vie des gens. Entre autres, ces analyses et les opérations qui y sont associées ont pour effet d'élever les prétentions de connaissances des experts au statut de "vérité" et de disqualifier les connaissances des personnes qui consultent les thérapeutes. J'ai donc pu voir un potentiel pour que le contexte de l'équipe réfléchissante en soit un qui maximise à la fois la mise en oeuvre de prétentions de "vérité" des connaissances professionnelles et la disqualification de prétentions alternatives. Quelles lignes directrices pourraient être établies pour le travail avec les équipes réfléchissantes qui pourrait fournir un certain contrôle sur ce sujet, des lignes directrices qui pourraient minimiser les possibilités de cette disqualification, qui pourraient limiter les possibilités de prétention ?
  4. J'avais une certaine conscience de la mesure dans laquelle la culture de la psychothérapie n'est pas périphérique à la culture dominante - de la mesure dans laquelle elle n'est pas exempte des structures et idéologies dominantes, et de la mesure dans laquelle elle joue un rôle central dans la reproduction de ces structures et idéologies (par exemple, prenez le lien entre la misogynie de la culture dominante et la culture du reproche à la mère qui est fait dans la psychothérapie). À la lumière de ce qui précède, pourrions-nous espérer que l'équipe réfléchissante, dans son travail, ne soit pas également complice de cette reproduction, et qu'elle ne contribue pas involontairement davantage aux forces mêmes qui produisent le contexte des problèmes pour lesquels les gens cherchent à consulter ? Une telle confiance serait certainement mal placée. Alors, quels processus d'équipe réfléchissante pourraient être mis en place pour aborder cette vulnérabilité vis-à-vis de la reproduction de certains des aspects négatifs de la culture dominante ?


Au fil des ans, j'ai reçu diverses réponses à ces préoccupations et à d'autres encore que j'ai exprimées. Certains thérapeutes m'ont suggéré de rendre trop compliquée l'idée de travailler avec les équipes réflichissantes et d'apprendre à faire confiance à l'intuition des membres de l'équipe. Mais je n'ai pas pu en être convaincu. Etre intuitif, c'est entrer dans un discours de compréhension et de pratique qui est considérablement éclairé par ce que l'on pourrait appeler la "psychologie populaire". Cela ne veut pas dire que l'intuition ne peut pas être positive dans ses effets sur la vie des gens, mais je ne crois pas qu'il faille la passer sous silence. Je ne doute pas qu'une étude de l'histoire de l'intuition éclairerait un système particulier de compréhension et d'action dans le monde - que nous trouverions de nombreuses interruptions dans ce que l'on identifie comme intuition à travers le temps, et que nous serions confrontés à de nombreux exemples de où l'intuition d'hier ressemble si souvent à la folie d'aujourd'hui. Encourager les membres de l'équipe à "faire confiance" à leur intuition équivaudrait à les encourager à croire en leurs propres bonnes intentions, ce qui n'est souvent pas du tout une très bonne idée.


D'autres thérapeutes ont suggéré que je pourrais résoudre mes préoccupations en laissant simplement aux membres de l'équipe le soin d'exprimer l'expérience subjective qui émane du "centre" de leur être. Qu'en est-il de cette notion d'expression non examinée de l'expérience ? Existe-t-il une expression pure et simple de l'expérience subjective ? Toute expression de l'expérience peut-elle éviter les effets médiateurs des systèmes de compréhension ? Une expression de l'expérience linguistique peut-elle se situer en dehors de ce que le langage construit ? Une expression de son expérience au sein d'une communauté de personnes peut-elle être reconnue par d'autres personnes se trouvant en dehors d'un système de sens qui fournit la réponse que nous appelons reconnaissance ? C'est peu probable ! D'ailleurs, l'idée même d'avoir un centre à travers lequel les gens peuvent exprimer leur moi essentiel ne résiste pas du tout bien à une analyse approfondie.


D'autres thérapeutes ont pourtant suggéré que des notions comme celle de la "communauté idéale de communication" de Habermas pourraient me soulager d'une partie du fardeau de ces préoccupations. Mais ça n'a pas marché du tout pour moi. Je connaissais bien cette notion, mais je ne voyais pas comment une communauté pourrait être exemptée des diverses relations de pouvoir de notre culture et de ses institutions, y compris celles fondées sur le genre, la race, la classe sociale, l'opportunisme, l'âge, la préférence sexuelle, l'économie, etc. J'étais depuis longtemps d'avis que c'est par la reconnaissance de ces relations de pouvoir, et non par leur déni, que l'on peut prendre des mesures pour les contester et réduire leur toxicité, et que de telles mesures jouent elles-mêmes un rôle dans les relations de pouvoir. Pour cette raison, j'ai été plus attiré par la critique de Foucault à l'égard de la notion d'une communauté idéale de communication que par la proposition originale :


L'idée qu'il pourra y avoir un état de communication qui soit tel que les jeux de vérité pourront y circuler sans obstacles, sans contraintes et sans effets coercitifs me paraît de l'ordre de l'utopie. C'est précisément ne pas voir que les relations de pouvoir ne sont pas quelque chose de mauvais en soi, dont il faudrait s'affranchir ; je crois qu'il ne peut pas y avoir de société sans relations de pouvoir, si on les entend comme stratégies par lesquelles les individus essaient de conduire, de déterminer la conduite des autres. Le problème n'est donc pas d'essayer de les dissoudre dans l'utopie d'une communication parfaitement transparente, mais de se donner les règles de droit, les techniques de gestion et aussi la morale, l'êthos, la pratique de soi, qui permettront, dans ces jeux de pouvoir, de jouer avec le minimum possible de domination. (Foucault 1988, p.18)


Les questions et les préoccupations que j'avais étaient têtues (et elles le sont toujours, elles ne disparaîtront tout simplement pas). Mais j'ai continué à me débattre avec elles, parce que je demeurais enthousiaste quant au potentiel transformateur du travail d'équipe et parce que mes premières explorations de ce format ont été vraiment renforcées. Dans le présent article, je décrirai une structure d'équipe réfléchissante qui a évolué (a) grâce à d'autres explorations de ces préoccupations, (b) en réponse aux commentaires des nombreux thérapeutes qui ont pris part à la réflexion sur le travail d'équipe au Dulwich Centre, et (c) à partir des feedbacks que j'ai reçus de personnes qui ont consulté dans ce contexte.


Au cours de cette discussion, je ne ferai pas référence à d'autres conceptions et développements sur le travail avec les équipes réfléchissantes en raison d'un manque de familiarité avec celles-ci. Je n'ai aucun doute que d'autres thérapeutes ont aussi abordé des préoccupations et des questions semblables à celles que j'ai décrites ci-dessus, mais je n'ai pas eu l'occasion de suivre leurs propositions et leurs traductions de celles-ci dans la pratique. Et je ne sais pas comment Tom Andersen a répondu à de telles préoccupations et questions, car il ne m'a pas été possible jusqu'à présent de le consulter à ce sujet, et je n'ai pas un compte rendu direct de son travail.


Maintenant, une mise en garde. Dans le travail que je vais décrire ici, je ne suis pas du tout certain d'avoir déjà répondu de façon satisfaisante aux préoccupations et aux questions que j'ai exposées ci-dessus, et je reconnais également que de nombreuses autres préoccupations et questions peuvent être soulevées. J'apprécierais donc que les lecteurs lisent ce document comme un compte rendu des travaux en cours.


CÉRÉMONIES DÉFINITIONNELLES