8 pratiques très efficaces des problèmes, Foucault et une expérience personnelle

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Traduction de Fabrice Aimetti avec l'aimable autorisation de Stephen Madigan, le 15 avril 2020.

Cet article est paru dans la lettre d'information narrative de Avril 2020 sous le titre "8 Habits of Highly Effective Problems, Foucault and - a personal reckoning."

L'étendue de ce que nous pensons et faisons est limitée par ce que nous ne remarquons pas. Et parce que nous ne remarquons pas que nous ne remarquons pas, nous ne pouvons pas faire grand chose pour changer jusqu'à ce que l'on remarque comment ne pas remarquer modèle nos pensées et nos actes. - Ronald David Laing


Town built on top of a head, by Jacek Yerka
Town built on top of a head, by Jacek Yerka

Un bon ami à moi m'a raconté une histoire amusante cette semaine, qui est très drôle. Mon ami vit en relation avec diverses valeurs que j'admire comme la compassion, l'équité, l'humour, l'humilité, pour n'en citer que quelques-unes. Et depuis plus d'une dizaine d'années, il oeuvre en tant qu'acteur clé (certains pourraient dire l'un des rares acteurs clés) dans les zones les plus pauvres du Canada avec des personnes qui, pour de nombreuses et complexes raisons, se retrouvent sans abri.

Il y a quelque temps, il passait tout son temps à trouver des moyens de gérer le scénario catastrophe de la drogue contaminée par les opioïdes. C'est là qu'il a vécu la mort de centaines de personnes, dont quelques bons amis. Il y est resté plus longtemps qu'il n'aurait dû peut-être, et il a fini par "basculer".

Ne pouvant plus aller travailler, il a ensuite demandé une indemnisation sur le lieu de travail, ce qui l'a obligé à se soumettre à des procédures d'"évaluation" et à de longues discussions avec un certain nombre de psychologues. La semaine dernière, il a eu un dernier rendez-vous de suivi avec un nouveau psychologue. Et pendant cette période de confinement du COVID-19, il a supposé qu'il s'agirait d'une conversation virtuelle. Mais au lieu de cela, le psychologue lui a demandé de se rendre à son bureau. À son arrivée, mon ami a eu l'impression que le psychologue ne prenait pas forcément le coronavirus aussi au sérieux qu'il le pourrait.

Quoi qu'il en soit, après avoir passé un "test" composé de 350 questions, le psychologue l'a interrogé en utilisant le cadre standard des entretiens en cas de trouble de stress post-traumatique. Il n'a pas fallu longtemps à mon ami pour réaliser que le psychologue qui l'interrogeait n'incluait pas le contexte actuel du virus COVID-19. Voici une version fictive de l'entretien d'après ce que je me souviens de ce qu'il m'a dit :

Psychologue : Êtes-vous sorti de la maison au cours des trois dernières semaines.
Ami : Euh, non, je n'ai pas vraiment quitté la maison sauf pour faire des courses.
P : Et avez-vous parlé avec quelqu'un pendant que vous faisiez vos courses ?
A : Pas vraiment.
P : Avez-vous eu envie de rendre visite à vos amis ?
A : Depuis quand ?
P : Au cours du dernier mois, avez-vous eu envie de rendre visite à vos amis ?
A : Pour être franc, je n'ai pas vraiment pensé à rendre visite à des amis.
P : Des amis ont-ils voulu venir vous rendre visite au cours des trois dernières semaines ?
A : Pas que je sache.
P : Etes-vous triste qu'aucun de vos amis ne soit venu vous rendre visite ?
F : Triste ? Certainement pas.
P : Pensez-vous que vos amis ont l'impression que vous ne voulez pas qu'ils vous rendent visite ?
F : Oui, c'est exact.
P : Y a-t-il eu une époque où vous aviez plus de relations sociales que maintenant ?
F : Absolument !
P : Avez-vous remarqué des tendances compulsives ?
F : Comme quoi ?
P : Comme un besoin particulier de symétrie et d'ordre, ou une peur des microbes, ou le fait de se laver les mains souvent. Ce genre de choses.
F : Oui, j'ai remarqué que je me lavais beaucoup plus les mains.

Et l'interview s'est poursuivie. Ce qui est assez drôle, c'est qu'à la fin de la conversation, il s'est avéré que le psychologue ne pensait plus que mon ami souffrait de ce qui avait été décrit comme un trouble de stress post-traumatique.

Brouhaha incessant (chitter-chatter) : les 8 pratiques conversationnelles très efficaces des problèmes

Cette période de confinement et de distanciation sociale a donné à beaucoup d'entre nous le temps de réfléchir et de revisiter des projets pour lesquels à l'époque nous ne pouvions que regretter ne pas avoir de temps à consacrer. Je me suis amusé avec une tonne d'activités différentes comme par exemple prendre le temps dans la journée de revenir sur quelques idées narratives, écrire un peu et pousser plus loin mes idées. Ce que vous allez lire ci-dessous est un peu brut et mal préparé et ressemble plus à de l'improvisation qu'à de la composition. Donc, s'il vous plaît, lisez à vos propres risques et périls.

Mon intention première pour cette lettre d'information était de m'amuser et de trouver un moyen de prolonger mes découvertes des écrits de Michel Foucault sur le pouvoir/la connaissance, la subjectivation, les discours culturels internalisés et l'auto-surveillance, sous la forme d'opinions et d'interprétations plus concrètes pour la pratique quotidienne de la thérapie narrative. La question sur laquelle j'aimerais me concentrer est la suivante : comment les conversations culturelles internalisées finissent par soutenir les pratiques particulièrement efficaces des problèmes.

Un peu de contexte : ma fascination pour le fonctionnement propre aux pratiques conversationnelles internalisées des problèmes a commencé à la fin des années 1990 avec les femmes avec lesquelles je travaillais dans le centre psychiatrique d'un hôpital pour adultes souffrant de troubles alimentaires. Situer la "voix" du problème a toujours fait partie de mon travail ; cependant, le contexte Anti-anorexie a donné une couleur très vice à la pratique.

À un certain moment de ce travail, j'ai commencé à me rendre compte que les femmes du centre utilisaient des descriptions appartenant à un langage habituel, internalisé et punitif de l'anorexie et de la boulimie qui semblait presque identique à ce que les femmes décrivaient dans d'autres endroits du monde. Il semblait y avoir un "langage international", internalisé et commun de l'anorexie.

La question était la suivante : comment était-il possible que des femmes d'Iran, d'Inde, de Chine, de Croatie et du Canada, des femmes de différentes cultures, classes, valeurs, croyances religieuses et droits, puissent partager une connaissance semblable et approfondies du langage mortellement internalisé de l'anorexie ? L'anorexie n'était-elle pas un phénomène occidental ?

Il n'a pas fallu longtemps pour arriver à une conclusion effrayante : le langage, la pratique, les règles et les rituels des troubles alimentaires étaient exportés dans le monde entier par le biais de la mondialisation ! Le fait d'être en première ligne pour témoigner de la vitesse à laquelle un discours internalisé complice de l'anorexie voyageait et se frayait un chemin à travers divers milieux sociaux et cultures a changé à jamais le cadre et la compréhension de ma pratique narrative.



Des années plus tard, j'ai démarré une enquête plus approfondie sur les pratiques internalisées très efficaces des problèmes (pour arriver finalement à 8 pratiques fondamentales). Et cette fois-ci, j'ai soutenu mon intérêt par le biais du prisme des écrits de Michel Foucault sur Jeremy Bentham et d'un projet architectural d'autosurveillance qu'il a appelé le Panopticon. J'ai également trouvé intéressant de passer de plus en plus de temps à essayer de pratiquer en cohérence avec les idées de Foucault sur le pouvoir/la connaissance, la subjectivation et le discours culturel internalisé.

Mon projet s'est donc attaché à examiner ce qu'était l'appareil discursif internalisé. Plusieurs questions ont été posées : a) comment les discours de problèmes intenalisés et produits par la culture étaient fabriquées ; b) quelles étaient les histoires liées aux discours de problèmes internalisés ; c) quels étaient les habituels et dommageables systèmes de soutien du langage courant ; d) comment les différentes pratiques conversationnelles s'accordaient et se soutenaient mutuellement ; et e) les nombreuses façons dont l'autosurveillance s'exerce sur nos vies par le biais d'un public externe qui porte un regard jugeant suffisamment critique pour que les problèmes se développent et prospèrent.

À l'École de Thérapie Narrative de Vancouver, j'ai le privilège et le luxe de pratiquer et d'explorer tout ce qui me plaît. J'ai donc commencé un projet visant à établir des spécifications relationnelles de ce que les pratiques conversationnelles internalisées des problèmes "disaient" ; en situant les pratiques conversationnelles internalisées des problèmes dans le discours culturel, puis en explorant comment les gens réagissaient, à leur tour, à ce qui était dit.

Ce n'était pas une carte que je cherchais, cela ressemblait plus à une enquête criminelle.

Et pour être parfaitement honnête avec vous, pendant cette période de mes deuxième et troisième séries d'explorations sur le projet des pratiques conversationnelles très efficaces des problèmes, j'ai personnellement vécu les bouleversements qui accompagnent une rupture importante. Ainsi, une partie de ce qui suit est saupoudrée de la poussière de fée du savoir local et pourrait être plus qu'autobiographique.

En marge de cette déclaration qui dit que je serai "parfaitement honnête avec vous"... veuillez garder à l'esprit une citation de Judith Butler que j'aime beaucoup :

[Il y a, semble-t-il, chez Foucault un prix à payer pour dire la vérité sur soi, parce que ce qui va précisément constituer la vérité est cadré par des normes et par des modes spécifiques de rationalité émergeant historiquement et, de ce fait, contingentes. Dans la mesure où nous disons la vérité, nous nous conformons à un critère de vérité, et nous acceptons que ce critère de vérité nous détermine. Si l’on accepte que ce critère nous détermine, on accepte de manière primaire et sans remise en question la forme de rationalité dans laquelle on vit. Ainsi, ...]

Dire la vérité a un prix, et ce prix équivaut à la suspension de la relation critique au régime de vérité dans lequel on vit [38][38]J. BUTLER, Le Récit de soi, p. 123