Posture décentrée et influente

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Traduction par Fabrice Aimetti de la thèse de doctorat :
Conversation Analysis of Michael White’s Decentered and Influential Position
2017, Dragana Ilic, Nova Southeastern University, idragana@yahoo.com
Avec l'aimable autorisation de l'auteure, le 01/06/2020


Une position influente du thérapeute est décrite comme la participation du thérapeute à la sélection et à la mise en avant de fines traces d'événements qui ne font pas partie de l'histoire dominante afin de pouvoir développer des histoires préférées (White, 2007). Bien qu'il existe de nombreuses façons pour les thérapeutes d'être influents, les thérapeutes narratifs sont influents en ce sens qu'ils ouvrent de nombreuses possibilités aux personnes de faire valoir ce qu'elles chérissent et ce qu'elles tiennent pour précieux dans la vie. Ainsi, le thérapeute est influent en ayant une intention et en utilisant des questions ou des catégories de questions comme le montrent différentes cartes. Par exemple, dans la pratique de l'externalisation, "le thérapeute donne aux gens la possibilité de définir leur propre prise de position par rapport à leurs problèmes et de faire entendre ce qui justifie cette position" (White, 2007, p. 39). Le thérapeute exerce une influence en aidant les personnes (qui font état de conclusions négatives sur leur identité et/ou leur relation) à redéfinir leur relation avec leur problème et à revivre leur identité à travers quatre catégories de question : 1) la négociation d'une définition spécifique du problème proche de l'expérience, 2) la cartographie des effets du problème, 3) l'évaluation des effets des activités du problème et 4) la justification de l'évaluation (White, 2007). Grâce à ces questions, le thérapeute est influent en ce sens qu'il ouvre, par ses conversations, de nombreuses possibilités aux personnes de réfléchir et d'évaluer leur vie d'une manière différente et de poursuivre ce qui leur tient à coeur et leur est précieux. La pratique des conversations externalisantes n'est qu'un exemple et une carte des pratiques narratives parmi d'autres cartes (par exemple, les conversations qui font émerger des exceptions, les conversations pour redevenir auteur, les conversations de re-membering) grâce auxquelles les thérapeutes narratifs peuvent être considérés comme influents. Il ne s'agit pas simplement de suivre les cartes, qui ne sont que des guides et non des prescriptions figées pour la pratique de la thérapie narrative, qui font que le thérapeute est influent dans la thérapie narrative. Il s'agit plutôt de savoir si le thérapeute aide les gens à explorer certains territoires négligés de leur vie et s'il leur donne l'occasion de décrire plus richement les histoires alternatives de leur vie.

De plus, dans les conversations en échafaudage, le thérapeute a une influence en aidant une personne à passer progressivement de ce qui est connu et familier à ce qu'il lui serait possible de savoir et de faire concernant son identité et sa vie (White, 2007). S'inspirant des travaux de Vygotski, White (2007) a souligné que l'apprentissage (ou le changement) s'obtient en prenant des mesures raisonnables et est le résultat d'une collaboration sociale qui se produit par le biais du langage. Par conséquent, le thérapeute joue un rôle important en influençant chaque conversation par le biais du langage qu'il utilise ; par exemple, les questions du thérapeute, qui sont suffisamment simples pour qu'une personne y réponde et y réfléchisse, peuvent aider la personne à se déplacer vers de nouveaux territoires inexplorés et négligés qui peuvent conduire au développement de conclusions sur son identité préférée. L'entretien du thérapeute peut conduire soit à apprendre quelque chose de nouveau sur sa vie, son identité, ses croyances, ses valeurs, ses espoirs, ses intentions, ses compétences, ses relations et son problème (ce qui fait souvent une différence dans la vie de la personne), soit à ce que la personne sait déjà (conversation familière) qui ne fait généralement aucune différence dans ce que la personne conclut sur son identité, ses relations et son problème. Comme l'a déclaré White (2005) :

L'influence du thérapeute ne consiste pas à imposer un agenda ou à intervenir, mais à construire un échafaudage, par le biais de questions et de réflexions, qui permette aux gens : a) de décrire plus richement les histoires alternatives de leur vie, b) d'entrer dans et d'explorer certains des territoires négligés de leur vie, et c) de se rapprocher de manière plus approfondie des connaissances et des compétences de leur vie qui sont pertinentes pour répondre aux difficultés, aux épreuves et aux problèmes qui se présentent. (p. 9)

Par conséquent, la position influente du thérapeute peut s'expliquer par sa capacité à être très orienté dans son questionnement qui vise à aider les individus à créer des histoires alternatives et des conclusions identitaires plus préférées sans imposer ses valeurs et ses croyances sur la façon dont ils devraient vivre leur vie et sans fournir son expertise et ses interventions.

Les thérapeutes narratifs utilisent leur posture d'influence pour explorer les espoirs, les rêves, les buts, les aspirations, les valeurs, les croyances, les compétences et les savoirs des gens, plutôt que d'explorer, de diagnostiquer et de soigner leurs dysfonctionnements (White, 2007), ce qui est la pratique d'autres modèles plus normatifs et qui conduit à créer un type différent de relations entre le thérapeute et le client. Ces relations thérapeutiques peuvent être décrites et vécues comme plus égalitaires, respectueuses et responsabilisantes, plutôt qu'oppressives, hiérarchiques, et limitantes et qui pourraient avoir des conséquences négatives pour le thérapeute et le client. Ces conséquences comprennent, sans s'y limiter, l'épuisement et la frustration du thérapeute lorsque le client ne se conforme pas à ses interventions qui ont un sens selon sa théorie ; l'éventuel manque de collaboration dû à la "résistance" des clients telle que perçue par le thérapeute ; la dépendance du client à l'égard des connaissances spécialisées du thérapeute sur la manière de résoudre ses problèmes ; le sentiment d'incompétence, de défaillance ou de ne pas être compris, que le client ressent lorsqu'il est diagnostiqué, ou qu'on lui dit quoi faire et qui ne correspond pas à ses valeurs et à ses croyances, pour ne citer que quelques exemples.

D'autre part, la relation dans laquelle le thérapeute est influent mais décentré tend à créer un sentiment d'initiative personnelle[1], de compétence et d'espoir. Par exemple, des personnes souffrant d'anorexie et de boulimie ont déclaré avoir éprouvé un sentiment de soulagement, de liberté, de contrôle et d'espoir à la suite de conversations externalisante (Maisel et al., 2004) dans lesquelles le thérapeute adopte une posture décentrée et influente.

La posture influente du thérapeute peut se manifester par sa participation à la co-création de nouveaux sens, de nouvelles histoires et de nouvelles conclusions sur l'identité qui sont en accord avec les préférences et les valeurs des clients. Bien que le thérapeute ne joue pas un rôle primordial dans la paternité des histoires alternatives, il participe au processus et est responsable du résultat (White, 2007). Les thérapeutes narratifs sont conscients de leur posture influente dans la relation avec leurs clients et ils observent et remettent en question les effets de leurs pratiques (Freedman & Combs, 1996 ; White, 1995).

Très influencé par Foucault, White (2002) était conscient qu'un thérapeute (personne de pouvoir ayant des connaissances spécialisées) peut reproduire les discours dominants et peut recruter des personnes pour qu'elles se disciplinent et disciplinent les autres sur la base de normes socialement construites, de même que les thérapeutes pourraient par leur autorité agir comme des agents de contrôle social. White a refusé d'être influent de cette manière. Au lieu de cela, White a utilisé la position d'influence pour donner aux gens "l'opportunité de refuser les critères normatifs dans le jugement et la justification de leurs activités... [et de]... se concentrer sur les conséquences de leurs activités dans le développement de leur vie et de leurs relations" (White, 2002, p. 68). Ainsi, White n'a pas renoncé à ce que les gens assument la responsabilité de leurs actes, ni ne leur a reproché de ne pas agir d'une manière particulière, culturellement construite pour être normale ; il a plutôt réussi à ouvrir un espace permettant aux gens de déconstruire les problèmes et de créer une relation différente avec leurs problèmes, dans laquelle ils se sentent moins opprimés par ceux-ci, peuvent entendre davantage leurs voix et sont plus à même de prendre des mesures et des responsabilités différentes selon leurs valeurs et leurs préférences. Par conséquent, White a exercé une influence très différente de celle des autres thérapeutes qui avaient des idées et des normes pour les clients sur ce qu'il faut pour être une personne et/ou une famille normale ou à la hauteur - reproduisant les discours dominants qui sont opprimants et conduisent à l'autosurveillance, aux jugements négatifs et à l'autoaccusation étant donné que les gens sont objectivés à la place de leurs problèmes.

Plus que tout autre théoricien de son époque, White s'inquiétait des effets de la pratique thérapeutique sur la vie des gens. En citant Foucault, "Nous savons ce que nous pensons ; nous pensons savoir ce que nous faisons ; mais savons-nous ce que fait ce que nous faisons ?" David Epston a suggéré que White ne s'intéresse pas seulement aux intentions mais aussi aux effets de la pratique thérapeutique (cité dans White, 2011, p. xxviii). White (2007) estime que les thérapeutes sont responsables des conséquences de ce qu'ils pensent, disent et font en thérapie. Étant donné les différences de pouvoir inhérentes entre le thérapeute et le client, dans lequel les thérapeutes ont plus de pouvoir, White (1995) a souligné qu'il est facile pour les thérapeutes d'imposer les "vérités" et, par conséquent, des mesures devraient être prises pour empêcher une telle contrainte.

Une posture influente, aussi bien que décentrée, reflète la vision du monde de White, ses idées théoriques et sa reconnaissance des différences de pouvoir dans une relation, et d'une certaine manière, elle rend les thérapeutes responsables des effets de ce qu'ils font et disent dans leurs conversations avec les personnes qui les consultent. White (1995) a affirmé que "croire que la thérapie peut être totalement égalitaire, reviendrait à permettre aux thérapeutes d'ignorer les responsabilités morales et éthiques particulières associées à leur position" (p. 70), ce qui n'était certainement pas leur intention. White (2005) a également estimé que le fait d'adopter une posture décentrée et influente pouvait être potentiellement revitalisante pour le thérapeute.

Cette étude entend répondre à la ligne de recherche suivante : Comment, le cas échéant, Michael White peut-il être considéré comme adoptant une position décentrée et influente dans la thérapie narrative ? La méthodologie de cette étude sera expliquée dans le prochain chapitre.

Notes

  1. personal agency