Michael White et Steve de Shazer : nouvelles orientations de la thérapie familiale

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Révision datée du 18 mai 2020 à 19:18 par Fabrice Aimetti (discussion | contributions) (Préface de Catherine Mengelle)
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Traduction par Fabrice Aimetti de l'article
"Michael White and Steve de Shazer: new directions in family therapy" de Jeff Chang et Michele Phillips
chapitre 5 du livre "Therapeutic Conversations" de Stephen Gilligan & Reese Price publié en 1993 chez W. W. Norton and Company, Inc.

avec l'aimable autorisation de Jeff Chang le 26 avril 2020.



Contributeurs à cet article

  • Jeff Chang, M.A. - The Family Psychology Centre and Canada EAP Services Corporation, Calgary, Alberta.
  • Michele Phillips - The Family Psychology Center, Calgary, Alberta.
  • Steve de Shazer - Senior Research Associate, Brief Family Therapy Center, Milwaukee, Wisconsin.
  • Michael White, M.A. - Child, Marital, and Family Therapist, Dulwich Centre, Adelaide, South Australia.



Préface de Catherine Mengelle

C’est un énorme travail de traduction qu’a réalisé, avec justesse et précision, Fabrice Aimetti en s’attaquant à cet article, 5ème chapitre d’un ouvrage plus large sur les conversations thérapeutiques sorti en 1993.

La date est importante.

Concernant les auteurs, le CV de Jeff Chang, disponible sur le site de l’Université de Calgary (Canada), fait 15 pages, avec une liste de publications longue comme un jour sans pain. Il est thérapeute familial, psychologue, docteur et enseignant universitaire. Michele Phillips, quant à elle, a un doctorat de psychologie clinique délivré par l’Université de Calgary.

L’endroit d’où parlent les auteurs est important.

Fabrice est un archéologue. Depuis que nous le connaissons et à la moindre question que nous soulevons, il fouille partout et trouve des documents d’archive passionnants dans notre domaine narratif. Ces derniers temps, nous nous sommes demandé tous les deux s’il fallait distinguer les notions de « unique outcome » utilisée par White et d’« exception » utilisée par de Shazer et choisie en français pour traduire « unique outcome » (à tort ou à raison ?). Nous savions qu’il y avait eu des échanges entre de Shazer et White. En voici ici une trace "épaisse".

L’article nécessite une déconstruction (selon l’acception de White plus que de Shazer). Je ne suis pas la bonne personne pour le faire. Mais je peux toutefois témoigner de l’effet qu’il m’a fait.

Il est construit en deux parties :

Dans la première, les auteurs cherchent à mettre en évidence les ressemblances et dissemblances entre Pratiques Narratives et Orientation Solutions. Ils le font à travers un regard et des références palo-altistes qui semblent être leur univers. Cela donne un vocabulaire incroyable et mal adapté à mon avis à l’œuvre poursuivie. Quand je pense qu’on nous a déjà accusés de jargonner ! C’est très étrange cette idée de décrypter des pratiques nouvelles avec des instruments d’analyse datant d’un temps déjà passé… Les questions qu’ils se posent n’ont finalement que peu d’intérêt, je trouve.

L’article reste cependant extrêmement intéressant du point de vue de l’histoire : il nous aide à comprendre les difficultés que White et Epston ont pu rencontrer pour se faire comprendre au début. Il nous aide à comprendre comment leurs chemises à fleurs ont détonné dans le paysage encravaté et très « sérieux » de l’époque (fin des années 80 - début des années 90, 86 : 1er atelier de White au Canada, 90 : sortie aux États-Unis de Moyens narratifs au service de la thérapie), et comment ils ont pu séduire des praticiens, heureux d’une nouvelle forme de relation entre apprenants et enseignants.

Dans la deuxième partie, de Shazer et White répondent aux auteurs et discutent leurs points de vue. Ils ont deux façons très différentes de le faire. De Shazer semble déterminé à séparer distinctement les deux approches, sur un ton plutôt polémique et sans se préoccuper vraiment de bien comprendre celle de White. Il insiste sur leurs différences et considère et démontre que l’approche narrative est une approche orientée problème. Très étonnant.

White, dans sa réponse, me donne l’impression de se contreficher de ressemblances ou dissemblances et de s’attacher, probablement encore et encore, à expliquer son travail, sans le comparer. Il ne pinaille pas sur les mots (unique outcome ou exception), qui l’intéressent beaucoup moins que l’espoir de se faire comprendre mieux. Il prend la peine de reconnaître les immenses apports de de Shazer et son influence majeure sur une inflexion des idées en matière de thérapie. Sa réponse est un modèle pour moi. D’après ce que Fabrice m’a dit, elle l’est aussi pour lui.

Je ne sais toujours pas comment traduire "unique outcome" (Fabrice a choisi résultat unique) mais maintenant, je suis sûre que ça n’a pas tant d’importance que ça. Ce qui est important, c’est ce que nous faisons avec les personnes qui viennent nous voir.

Il est bien sûr urgent de déconstruire cette petite préface. Il était évident depuis le début que je serais plus touchée par les mots de White que par ceux de de Shazer ! Peut-être même que ce genre de préférence a été susceptible d’introduire un biais, que je n’ai forcément pas vu, dans la traduction de Fabrice ! ...

Article de Jeff Chang et Michele Phillips

C'était une journée bien remplie à l'institut de la santé mentale des adolescents.

Dans la salle 1, un thérapeute rencontrait Kyle, son père, sa mère et son plus jeune frère. Dernièrement, Kyle avait commis des vols à l'étalage, traînait dans les centres commerciaux et les boutiques avec une "vilaine bande", restait dehors tard et rentrait à la maison ivre ou défoncé. Après un questionnement minutieux, le thérapeute a laissé entendre que toute la famille était "sous l'influence" du problème. Le problème avait poussé la famille à élaborer une histoire pour elle-même, et pour Kyle en particulier, qui était pleine de désespoir, d'impuissance, de colère et de frustration. Il a continué à interroger les membres de la famille sur la façon dont leur vie et leurs relations étaient plongées dans le récit du problème. La famille a reconnu que cette histoire s'était installée chez eux dans 75 % des cas et que si cela continuait, Kyle se retrouverait en prison et la relation avec les parents serait détériorée.

Le thérapeute a demandé : "Que se passe-t-il pour les autres 25% du temps ? Qu'a fait Kyle pour résister au problème et écrire une nouvelle histoire pour lui-même ?" Les parents de Kyle ont alors donné des exemples. Le thérapeute a demandé aux membres de la famille comment ils avaient pu créer un contexte pour ce problème, même par inadvertance, et ils ont convenu que leur surveillance assidue de Kyle avait probablement créé un contexte pour qu'il se rebelle encore plus.

Pour conclure la séance, le thérapeute a énoncé solennellement qu'il s'agissait d'un carrefour dans la vie de la famille. Ils pouvaient prendre position contre le problème ou se résigner face à la vieille histoire. Le thérapeute a demandé à la famille d'expérimenter la nouvelle histoire dans les semaines à venir pour voir si elle souhaitait continuer à l'inscrire dans sa vie. Cependant, le thérapeute pensait secrètement que l'expérience était une pure formalité, car les membres de la famille étaient moins critiques vis-à-vis de Kyle et plus optimistes quant à la résistance au problème.

Dans la salle 2, un autre thérapeute rencontrait pour la première fois Teresa, également âgée de 15 ans, et Donna, sa mère. Elles étaient "comme chien et chat". Teresa n'était pas allée à l'école depuis plusieurs semaines. De plus, elle rentrait à toute heure de la nuit et sa mère avait peur que Teresa soit sexuellement active. Après avoir obtenu cette description du problème, le thérapeute a demandé à Teresa et Donna ce qui se passait lorsque le problème ne se manifestait pas. Donna se souvient que les choses s'étaient calmées pendant environ quatre jours, même si ce n'était que pour une partie de la journée, et que les deux femmes avaient eu une conversation agréable. Donna avait même eu la pensée fugitive que les choses étaient peut-être en train de s'améliorer. Mais quelques jours plus tard, le plancher s'est à nouveau effondré, du moins c'est ce qu'il semblait à Donna.

"Que faisiez-vous tous les deux", a demandé le thérapeute, "pour que ces quatre bonnes journées se succèdent ?" Elles ne savaient pas. "Eh bien", répondit le thérapeute, "qu'y avait-il de différent dans ces journées ?" Donna se souvient que, pour une raison inconnue, elle s'était sentie plus énergique le matin. Elle avait salué Teresa avec un "bonjour" joyeux chaque jour. Pour Teresa, cela signifiait que sa mère se souciait vraiment d'elle et qu'elle ne cherchait pas seulement à gâcher son plaisir et à la contrôler.

La majeure partie de l'entretien a consisté à raconter certaines des autres choses que chacune des participantes a appréciées dans ce que l'autre avait fait. À la fin de la séance, le thérapeute n'avait aucune suggestion nouvelle ou intéressante à leur faire. Il leur a dit que puisqu'elles avaient été si claires sur ce qui avait été utile, elles devraient simplement faire encore plus de ce qui fonctionne. Une deuxième séance était prévue pour les semaines suivantes, mais en sortant, Donna a dit : "Je ne pense pas que nous en aurons besoin".

Ensuite, les deux thérapeutes se sont croisés dans la salle de café. En se racontant leurs entretiens, ils ont été frappés par la façon dont le processus des entretiens avait, dans chaque cas, fait émerger des solutions que leurs familles clientes respectives avaient déjà mises en œuvre, même si elles ne le savaient pas. Leurs deux entretiens étaient très éloignés sur le plan du style, mais les similitudes avaient éveillé leur curiosité.

De nombreux lecteurs reconnaîtront les approches thérapeutiques mentionnées dans ce récit comme étant celles de Michael White et de Steve de Shazer, respectivement. Bien que cette histoire soit fictive, elle est symbolique de l'exploration dans laquelle nous nous sommes engagés individuellement et ensemble au cours des quatre dernières années. Notre attirance pour ces approches et notre observation de leurs similitudes et de leurs différences nous ont amenés à essayer de placer ces deux approches thérapeutiques dans leur contexte[1].

C'est une question de style

Les thérapeutes qui ont vu ces deux pionniers au travail, en direct ou sur enregistrement, auront immédiatement été frappés, comme nous, par les différences stylistiques entre les deux approches. Nous avons relevé quelques distinctions de style.

Micro vs Macro

Une différence est que le travail de White est "macro" alors que celui de Shazer est "micro". Le travail de White s'inscrit dans un contexte social plus large. Par exemple, dans son travail avec les couples, il discutera parfois de la pression de la société pour être un "couple moderne" (White, 1986b) ; avec une jeune femme souffrant d'anorexie, il pourra discuter de la manière dont les "idées patriarcales" ont influencé sa vie (White, 1989b). Le langage de White a une coloration politique. Sa description des gens comme étant "opprimés" par les problèmes (White, 1988) suggère que le fait de susciter le changement consiste à sortir les gens de leur oppression. Il y a aussi une coloration politique dans sa critique de toute étiquette liée au diagnostic psychologique. Avec des jeunes souffrant de schizophrénie, il "remet en question les aspects dominants de la classification scientifique" (White, 1987a). White incite ses clients à se rebeller contre l'oppression du problème externalisé, contre le problème qui soutient les croyances de la société, et contre la classification et tout étiquetage. L'image suggérée est celle d'un révolutionnaire politique.

De Shazer maintient une approche "micro", pragmatique et non politique. Les données sur la famille d'origine, le genre et le contexte social élargi n'entrent pas dans les considérations cliniques. Plutôt que d'utiliser le langage pour inciter les clients à prendre conscience, de Shazer utilise un langage préétabli pour créer une espérance du changement. Pour nous, un parfum de bouddhisme s'en dégage (voir Nunnally et al., 1986). L'image suggérée est celle d'un explorateur curieux à la recherche de solutions.

Technologie vs Art

Le travail de De Shazer a une dimension technologique, tandis que l'approche de White est plus esthétique. Sans être déshumanisant, le travail de De Shazer s'est concentré sur l'élaboration de cartes thérapeutiques qui soient susceptibles d'être enseignées : "Depuis que j'ai commencé à pratiquer et étudier la thérapie brève en 1969, la question des observateurs, "Comment avez-vous décidé d'utiliser ce type d'intervention ?" m'a tourmenté... La question continue de se poser et la réponse, ou du moins l'approche d'une réponse, est le but de ce livre" (1985, p. 3). Dans ce but, de Shazer a adopté une posture minimaliste, ramenant la thérapie à l'essentiel. Il a été le premier à utiliser des systèmes experts (de Shazer, 1988 ; Gingerich et de Shazer, 1991) pour cartographier certains aspects de la prise de décision par les thérapeutes. De Shazer reconnaît que ce type d'élaboration de cartes ne relève pas de "l'art" de faire de la thérapie.

White (1989a), en revanche, a proposé "une thérapie du mérite littéraire"[2]. Avec David Epston, il s'est tourné vers l'analogie textuelle comme métaphore organisatrice de son œuvre : "L'analogie textuelle... a permis de conceptualiser le développement des vies et des relations en termes de lecture et d'écriture de textes, dans la mesure où chaque nouvelle lecture d'un texte est une nouvelle interprétation de celui-ci, et donc une écriture différente de celui-ci" (White et Epston, 1990, p. 9). Les personnes ont des interactions vivantes avec leurs histoires, ce qui crée une richesse qui dépasse le simple fait d'être des récepteurs d'informations, c'est la double description[3].

Précurseurs

Influence de Bateson

Bateson (1972, 1979) a eu une influence déterminante sur White et de Shazer. Les idées de Bateson (1972) d'explication négative, de contrainte et de double description constituent la principale carte théorique qui guide la thérapie de White (1986a). De Shazer (1985) a utilisé l'idée de double description de Bateson (1979) pour développer une métacarte pour la pratique de la thérapie. Lorsque l'équipe du BFTC (Brief Family Therapy Center) a comparé plusieurs descriptions de la pratique de la thérapie, un "bonus" (c'est-à-dire une idée qui est d'une catégorie différente de celle des autres catégories de descriptions déjà utilisées) a permis de mettre en évidence les différences. Ce bonus a servi de base à une première carte (de Shazer, 1985) de la thérapie centrée sur la/orientée solution.

Sociologie et Anthropologie

D'autres influences concernant White proviennent de l'anthropologie (Bruner, 1986, 1990 ; Evans-Pritchard, 1976 ; Turner, 1969 ; van Gennep, 1960), de la sociologie des institutions (Foucault, 1975, 1979 ; Gellner, 1975 ; Goffman, 1961) et du mouvement féministe (Orbach, 1978). Par exemple, White (1986c) conceptualise son "Rituel d'inclusion", comme un rituel s'inspirant de la description que fait Turner (1969) des rituels dans les sociétés tribales. Les traitements en milieu hospitalier ou résidentiel (Menses et Durrant, 1987 ; White, 1987a) sont considérés comme des rites de passage.

Les critiques de l'objectivation des pratiques sociales ont influencé White (Gellner, 1975 ; Evans-Pritchard, 1976). Dans leur formulation, les croyances, en particulier les croyances sur la nature des problèmes cliniques, sont implicites. Ces croyances construisent des significations à travers lesquelles les événements de la vie sont considérés et interprétés. White a identifié les étiquettes psychodiagnostiques, une manifestation particulière, de ces croyances implicites, comme un moyen par lequel la catégorisation scientifique objectifie les personnes (Foucault, 1973). L'exclusion sociale et spatiale en découle (Foucault, 1975, 1979 ; Stewart et Nodrick, 1990 ; White, 1987a). Plus récemment, en développant l'analogie textuelle, White s'est appuyé sur les travaux de Jérôme Bruner, un psychologue ayant des liens avec l'anthropologie, pour décrire comment les gens développent des récits pour créer du sens dans leur vie. White intègre également la pensée féministe dans son travail. Dans son travail avec des clients présentant des troubles alimentaires (White, 1986c), et dans la thérapie conjugale, notamment en ce qui concerne la violence conjugale (White, 1986b), il retrace comment les croyances patriarcales entretiennent le problème.

L'une des descriptions que fait de Shazer du développement de la coopération avec les clients provient de la théorie sociologique des jeux. Pour illustrer cela, de Shazer (1985) décrit les travaux de Robert Axelrod (1984). Axelrod a constaté que dans le jeu Le dilemme du prisonnier, une stratégie coopérative se révèle finalement la plus fructueuse. Le jeu a fourni à de Shazer un modèle de coopération pour les thérapeutes avec leurs clients. Conformément à la distinction macro/micro que nous avons établie, la recherches de White en sciences sociales portent sur des contextes sociétaux plus larges, tandis que l'utilisation de la théorie des jeux par de Shazer reflète un intérêt pour les interactions à petite échelle, généralement de type dyadique.

Tradition du récit

De Shazer et White, dans leurs travaux les plus récents, considèrent tous deux la thérapie comme un processus de développement narratif. Comme indiqué précédemment, White s'est appuyé sur Foucault pour discuter de l'objectivation des personnes. L'objectivation des personnes est étroitement liée à la domination des savoirs (White et Epston, 1990). Dans les applications cliniques, un nouveau récit, distinct de l'histoire saturée par le problème, est co-écrit pour combattre cette domination du savoir. Le récit alternatif a non seulement un présent mais aussi une histoire. L'historicisation du récit sert l'objectif de White d'aider ses clients à redéfinir leur vie.

De Shazer considère la thérapie comme le développement d'un récit progressif, qui justifie la conclusion que les gens se dirigent vers leurs objectifs (Gergen et Gergen, 1983, 1986). Le récit progressif est axé sur le présent et l'avenir, et n'est pas historicisé, puisque l'intention de De Shazer est de fournir de nouvelles définitions de contextes.

Déconstructivisme

Récemment, aussi bien de Shazer (1991) que White (ce volume, chapitre 2) ont reconnu leur attachement aux philosophes déconstructivistes, en particulier Jacques Derrida (1978, 1981). La déconstruction, telle que définie par Andesron et Goolishian (1989, p. 11), consiste à :

... séparer les hypothèses interprétatives d'un système de représentation que vous examinez... de manière à révéler les hypothèses sur lesquelles le modèle est basé. En les révélant, on ouvre un espace pour une interprétation alternative.

White déconstruit les récits saturés par les problèmes qui dominent la vie des clients en présentant des preuves d'histoires alternatives. De Shazer utilise les idées post-structuralistes de Derrida sur la co-construction du sens comme point de départ de sa discussion sur la nature des conversations thérapeutiques.

Influence de Milton Erickson

De Shazer (1975, 1978, 1979, 1980) a été fortement influencé par l'oeuvre de Milton Erickson. Ceci est particulièrement évident dans ses méthodes pour faire imaginer aux clients un avenir sans problème, pour communiquer le caractère inévitable du changement et pour obtenir la coopération des clients. De Shazer a adapté la technique de la boule de cristal[4] d'Erickson (1954), de sorte qu'une question classique du modèle orienté solution est : "Comment les choses se passeront-elles pour vous et pour les autres lorsque le problème sera résolu ? Il note : "Une fois que le client a une image de réussite, ... il peut spontanément faire quelque chose de différent pour que cette vision de l'avenir ... puisse devenir réalité (de Shazer, 1985, p.84).

De Shazer a été influencé par Erickson en ce qui concerne le développement de la "coopération / alliance" entre le thérapeute et les clients. Par exemple, de Shazer (1985, 1988) aide le client à développer une "suite de oui"[5] (Erickson et Rossi, 1979) en lui adressant des compliments thérapeutiques sur ce qu'il fait déjà bien.

White ne cite pas Milton Erickson comme influence. Cependant, de nombreuses questions de White sont proches des procédures d'induction de transe d'Erickson. Par exemple, White utilise des truismes et des présuppositions, comme dans cette question assez influente : "Que pensez-vous qu'il y ait dans les événements que vous m'avez relatés et qui me dit que vous avez encore une certaine influence dans la vie du problème ?" (White, 1989a). De nombreuses questions de White présentent un caractère ambigu : "Maintenant que vous êtes un faiseur d'histoires, c'est-à-dire que vous avez repris les droits d'auteur de votre histoire à l'auteur de votre ancienne histoire, comment ce statut de faiseur d'histoires a-t-il changé votre avenir par rapport à l'avenir qui vous avait été imposé ? (1989b). Le dédoublement est la technique hypnotique qui consiste à utiliser la juxtaposition verbale pour distinguer deux expériences opposées (O'Hanlon, 1987), comme dans cette question de White : "J'ai maintenant deux images de vous en tant que personne, l'ancienne et la nouvelle, et je trouve que la différence entre elles est saisissante. Si vous pouviez garder ces deux images en tête et les comparer, que pensez-vous que vous pourriez découvrir sur vous-même ? (1987a). En fait, en se référant à une ancienne histoire et à une nouvelle, White utilise constamment le dédoublement pour développer de nouvelles descriptions.

O'Hanlon et Weiner-Davis (1989) ont suggéré que l'héritage le plus important d'Erickson est l'approche de l'utilisation[6]. Bien que White utilise un langage qui pourrait être considéré comme induisant la transe, il serait peu enclin à utiliser un schéma de problème, invitant plutôt les clients à s'opposer à l'oppression du problème dans leur vie. Dans ses premiers travaux, de Shazer (1985) a développé une approche systématique de l'utilisation des symptômes, dans laquelle l'adéquation (fit) était considérée comme une relation entre un schéma de problème et un schéma de solution. Ainsi, l'orientation de de Shazer vers l'utilisation s'oppose à l'orientation de White contre-le-problème comme l'une des principales distinctions entre les deux approches[7].

Le développement et la maintenance des problèmes

Le développement des problèmes

Comme on pouvait s'y attendre, ni White ni de Shazer ne se concentrent beaucoup sur les explications des causes pour certains problèmes spécifiques. Comme d'autres constructivistes, ils se concentrent sur les processus globaux intervenant dans le développement des problèmes cliniques.

Les premières idées de White sur l'étiologie viennent de la seconde cybernétique[8]. Citant Maruyama (1963), il affirme que les problèmes se développent lorsqu'un "petit coup de pied insignifiant ou accidentel" déclenche un processus qui amplifie la rétroaction de telle sorte que les conditions initiales sont perdues. Avec le temps, la déviation est amplifiée, ce qui entraîne l'apparition de problèmes cliniques bien ancrés.

White (1984) affirme en outre que la recherche d'explications étiologiques conduit à des notions intentionnelles qui génèrent un cercle vicieux de culpabilité et de blâme, aggravant le problème. La recherche de l'étiologie fait partie de l'étiologie d'un problème. Pour combattre ces notions, il suggère que le thérapeute, "après avoir minutieusement fait l'historique du problème, annonce qu'il est sûr... que le problème a été causé par au moins un événement aléatoire identifiable sur sept, qui pourrait être réduit à trois ou quatre possibilités avec 10 à 15 ans de recherche supplémentaire...". (1984, p. 153).

Ces idées sont complémentaires aux hypothèses de de Shazer sur la manière dont les plaintes se développent. La première hypothèse est la suivante : "Les plaintes impliquent un comportement provoqué par la vision du monde du client" (1985, p. 23). Selon la deuxième hypothèse, "les plaintes sont entretenues par l'idée du client que ce qu'il a décidé de faire pour résoudre la difficulté initiale était la seule chose correcte et logique à faire" (1985, p. 25). De Shazer suggère que le raisonnement "soit/soit" se limite à la recherche de solutions, ce qui a pour conséquence la transformation des problèmes de la vie (" une fichue chose après l'autre ") en problèmes cliniques (" la même fichue chose encore et encore "). De Shazer suggère que, fondamentalement, toute action autre que la recherche de l'explication étiologique "correcte" pourrait conduire à la solution.

La maintenance des problèmes

La première description de White (1986a) sur la manière dont les problèmes sont maintenus provient des idées de Bateson (1972) sur l'explication négative. Plutôt que de chercher une explication causale à un comportement problématique, l'explication négative se concentre sur ce qui empêche les gens d'adopter des pistes d'action alternatives. Selon White, les contraintes sont de deux sortes : celles de la redondance et celles de la rétroaction. Les contraintes de redondance sont les croyances et les visions du monde limitantes du client, c'est-à-dire le raisonnement "soit/soit". Les contraintes de rétroaction sont des modèles circulaires peu utiles.

L'utilisation de l'analogie textuelle pour encadrer la thérapie donne une autre vision de la maintenance des problèmes. Les clients sont plongés dans des récits dominants "saturés de problèmes". Cependant, certains aspects importants et vitaux de leur vécu viennent contredire ces récits dominants (White, 1989a). Pourtant, ces contradictions, ou résultats uniques (unique outcomes) (Goffman, 1961), ne sont pas perçues par les clients.

Ni White ni de Shazer ne trouvent le concept de symptôme fonctionnel[9] cliniquement utile. Les approches qui englobent les symptômes fonctionnels (par exemple Haley, 1976 ; Madanes, 1984 ; Minuchin, 1984 ; Selvini Palazzoli et al., 1980) affirmeraient que le problème est une solution (à un autre problème). Cette affirmation n'a jamais eu de sens pour White (1987b) qui pense que "le problème est le problème" et considère les gens comme opprimés par les problèmes (White, 1988). Les travaux de De Shazer critiquent la croyance dans les symptômes fonctionnels en se fondant sur le principe pragmatique selon lequel ils élargissent inutilement la définition du problème : " le fait que l'enfant mouille son lit peut être considéré comme un 'problème qui s'interpose entre les parents', et donc un problème encore plus important... qui peut évoluer." (1985, p. 24)

La résistance est une autre idée rejetée par White et de Shazer. White ne mentionne pas le mot "résistance" dans ses publications. De Shazer développe l'idée :

À maintes reprises, j'ai constaté que les personnes qui m'étaient envoyées par d'autres thérapeutes (avec l'étiquette "client résistant") étaient à la fois désireuses de changer et très coopératives... L'idée que les clients vont résister au changement est pour le moins erronée. En fait, avec ce genre d'idée en tête, le thérapeute peut en fait générer de la "résistance"... ou de la non-coopération, voire du conflit. Autrement dit, les idées du thérapeute peuvent générer une prophétie auto-réalisatrice dont le résultat sera un échec (1985, pp. 15-16).

Le processus de changement

La préparation au changement

L'idée de résistance est liée à l'idée de préparation au changement. Pour les thérapeutes stratégiques, la préparation est un état inhérent caractérisé par la volonté des clients de suivre des directives. De Shazer, cependant, écarte l'idée d'une préparation intrinsèque. Bien que sa description des "visiteurs/touristes", "plaignants" et "clients" soit parfois confondue avec un système de catégorisation des clients basé sur leur motivation ou leur disponibilité, il précise que ces étiquettes décrivent la relation entre le thérapeute et le système-client. Le concept relationnel de "coopération / alliance" entre le thérapeute et le système-client est beaucoup plus utile cliniquement que les concepts simples de "motivation" ou de "disponibilité".

En revanche, White (1986a) fait référence à la préparation comme une condition qui permet aux nouvelles idées et descriptions de faire leur chemin. White prépare la famille à recevoir des messages différents en introduisant un "nouveau décodeur", qui consiste en une vision cybernétique du monde et en des postulats singuliers sur le problème, remettant ainsi en question les croyances de la famille sur le problème. Cela contribue à renforcer la résistance des nouvelles idées dans le système-client.

Théorie du changement

Pour en venir à une discussion plus générale sur la nature du changement, Nunnally et al. (1986) retracent l'utilisation par le Brief Family Therapy Center (BFTC) de diverses métaphores pour décrire le processus de changement. Les idées de Maruyama (1963) sur la boucle de rétroaction positive [10] et celles de Wilden (1980) (dérivées de Bateson) sur les informations dans les systèmes se sont avérées parmi les plus utiles à l'équipe de la BFTC. La principale insatisfaction de l'équipe au sujet de ces métaphores provient du manque de réflexion sur le rôle du thérapeute/observateur dans le système ; de plus, elles ne décrivaient pas suffisamment le comportement du thérapeute. La "vision bouddhiste du changement" suggère que le changement est constant et que la stabilité est une illusion. Toutes sortes de changements se produisent en même temps, une vision qui correspond à la fois à celle d'Erickson et de Bateson (Nunnally et al., 1986). Les "différences qui font une différence" sont mises en contraste avec les "différences qui ne font pas de différence". Reprenant ces idées, Nunnally et al. résument ainsi leur vision du changement : "Tout simplement, un changement clinique satisfaisant ... est construit par le thérapeute et le client à partir de diverses différences qui font partie du processus constant de changement ... Le fait qu'une différence contribue à rendre la vie plus satisfaisante est une question de perception et d'interprétation, et non un fait" (p. 90). L'équipe de la BFTC s'est ensuite penchée sur la question plus pragmatique du processus d'élaboration de solutions.

Munro (1987), écrivant avant la publication de l'utilisation de l'analogie textuelle par White, note que la théorie initiale du changement de White était également basée sur une boucle de rétroaction positive. Ceci est cohérent avec les explications ultérieures de White sur le changement, basées sur les idées de Bateson sur la double description (White, 1986a). Après avoir préparé la famille à recevoir des nouvelles de la différence, une description alternative de la situation problématique est donnée. Lorsque les membres de la famille reçoivent la nouvelle description sous forme de "nouvelles", des possibilités s'ouvrent pour la famille.

L'accent mis sur la recherche et la mise en évidence de descriptions alternatives se prolonge dans les travaux publiés ultérieurement par White (1988, 1989a ; White et Epston, 1990). L'identification de "résultats uniques" (unique outcomes) est nécessaire au processus de changement. Les résultats uniques ne sont pas perçus, à moins qu'un contexte n'ait été créé pour leur sélection. "Pour dénicher le changement dans l'aléatoire, il faut une sorte de mécanisme de sélection pour justifier la présence continue de la nouvelle idée" (Bateson, 1979, p. 49).

Les théories du changement prônées par White et de Shazer sont essentiellement les mêmes. Cependant, leur mise en œuvre est très différente. Dans le chapitre suivant, nous décrirons les aspects méthodologiques de chacune de ces approches.

Description de la démarche

White

Après une phase d'adhésion[11], White obtient un compte rendu de la nature du problème et de la nature oppressive du vécu de la famille. Ensuite, un "nouveau décodeur" est élaboré (White, 1986a). Ce processus prépare la famille à recevoir des messages différents en introduisant une vision cybernétique du monde et en présentant des postulats singuliers sur ce qui maintient le problème dans la famille. Les questions cybernétiques portent sur la relation entre la famille et le monde en général (par exemple : "Si les médias réussissent à faire croire à une femme qu'elle n'apporte une contribution que lorsqu'elle est préoccupée par son alimentation et son poids... comment cet acte de supercherie pourrait-il l'empêcher de faire valoir son droit à un parcours de vie qui lui soit propre ?" [1989b, p. 69]). Des questions complémentaires portent sur la relation entre les membres de la famille (par exemple, "Comment votre propre absence de la vie invite-t-elle les autres à faire une apparition plus forte dans votre vie ?" "Comment l'absence de votre fille vous invite-t-elle à faire une apparition plus forte dans sa vie ?" [1989b, p. 72]).

Ensuite, le problème est externalisé (White, 1988). Dans l'externalisation, "les pratiques culturelles d'objectivation sont utilisées contre les pratiques culturelles d'objectivation" (White, 1987a). L'influence relative est alors établie en obtenant des descriptions de l'influence du problème sur la famille, et de l'influence de la famille sur le problème. Cette dernière est généralement plus difficile, c'est pourquoi on utilise des questions portant sur des résultats uniques (White, 1989a). Ces questions peuvent être directes (par exemple : "Vous souvenez-vous d'une occasion où vous auriez pu vous abandonner au problème mais ne l'avez pas fait ? 1989a, p. 41]) ou indirectes (par exemple : "Que pensez-vous qu'il y ait dans les événements que vous m'avez relatés et qui me dit que vous avez encore une certaine influence dans la vie du problème ?" [1989a, p. 42]). Les résultats uniques sont mis en évidence / histoirisées et le récit des problèmes est déconstruit. Il est possible de contracter le temps pour retracer l'évolution future d'un mode de vie saturé par les problèmes s'il devait persister. Ce processus permet de lutter contre le phénomène d'accommodation en offrant un contraste frappant entre les descriptions. Ensuite, White présente un dilemme, dans lequel il demande aux clients s'ils souhaitent adopter une approche radicale pour surmonter le problème, par opposition à une approche conservatrice qui consiste à s'accommoder davantage du problème. Des expérimentations sont imaginées pour que la famille décide de la voie à suivre.

Lorsque les familles décident de prendre une voie radicale, White (1984) les aide à trouver des moyens concrets de renverser les rôles avec le problème. La réponse au changement consiste à le mettre en évidence, parfois par l'utilisation de récompenses, certificats et autres symboles ritualisés (White et Epston, 1990), par l'expression de la surprise et de l'étonnement du thérapeute (White, 1985) - il peut littéralement tomber de sa chaise (White, 1987b) - ou par l'utilisation de questions sur des témoignages singuliers et de questions sur des possibilités uniques (White, 1989a). Les premières se concentrent sur des schémas formés par une multiplicité de résultats uniques (par exemple, "Que pensez-vous que cette réussite, en tant qu'indicateur, me dit sur la nature de votre nouvelle trajectoire ?"), tandis que les secondes se concentrent sur les implications futures des changements actuels ("Quelle différence cela fera-t-il pour vos prochaines actions ?"). La prédiction de la rechute en tant que composante normale du changement peut être présentée par le thérapeute afin de prévenir un "retour à la case départ" et d'inviter à discuter des plans d'urgence.

Notre description fournit un compte rendu général de la démarche de White. Bien entendu, chaque cas nécessite des modifications. L'externalisation, par exemple, peut ne pas être appropriée dans tous les cas. Les questions cybernétiques se prêtent bien aux problèmes ayant des liens évidents avec la société (généralement liés au sexe), comme l'anorexie ou les conflits conjugaux, mais pas aussi bien avec les problèmes tels que les craintes de l'enfance liées à l'encoprésie.

de Shazer

La thérapie centrée sur la recherche de solutions démarre généralement par une période d'adhésion et d'établissement de rapports relationnels. Une brève description de la plainte présentée est donnée. Si le client ne peut pas construire une plainte, il ne doit recevoir que des compliments et aucune tâche thérapeutique, le thérapeute doit considérer le client comme un visiteur/touriste (de Shazer, 1988).

Si le client peut construire une plainte, alors le thérapeute recherche des exceptions. Dans le cas où les clients ont vécu des exceptions au problème, il est important d'obtenir une description de la manière dont la situation de la plainte diffère de l'exception. Si ces différences peuvent être clairement exposées par le client, une prescription directe peut être donnée pour mettre en œuvre la solution décrite (Molnar et de Shazer, 1987). Si des exceptions ont été constatées, mais que le client ne peut pas expliquer la différence entre la situation problématique et l'exception, deux mesures peuvent être prises. Les tâches d'observation (par exemple, "Faites attention à ce que vous faites la prochaine fois que vous surmonterez le besoin de reproduire le problème") peuvent être utilisées lorsque les clients se perçoivent comme maîtrisant la situation. Les tâches de prédiction (par exemple, "Prévoir si la prochaine période comportera davantage d'exceptions au problème") peuvent être utilisées lorsque les clients perçoivent qu'ils ne contrôlent pas les événements.

Lorsque le client ne peut identifier une exception, les efforts du thérapeute se concentrent alors sur l'élaboration de solutions hypothétiques ("Comment saurez-vous quand le problème sera résolu ?"). Si la description de la solution proposée par le client est vague, alors la tâche de première séance[12] est délivrée ("Entre maintenant et la prochaine fois que nous nous rencontrerons, nous aimerions que vous observiez, afin que vous puissiez le décrire et l'utiliser la prochaine fois, ce qui se passe dans votre famille et que vous souhaitez voir continuer à se produire"). Si la solution hypothétique est claire, une prescription directe pour la mettre en oeuvre peut être proposée.

Si le schéma de la plainte fait partie d'un contexte global, c'est-à-dire d'une vision du monde élaborée qui fournit le contexte non seulement du problème mais aussi de la vie du client, alors le contexte doit être déconstruit. Le doute est amené lorsque des contradictions dans la cohérence du contexte sont mises en évidence par le thérapeute et portées à la connaissance du client (de Shazer, 1988).

Le déroulement des séances suivantes dépend du rapport fait par le client suite aux effets du message transmis lors de la séance précédente. Lorsque le client rapporte des comportements et des expériences qu'il souhaite poursuivre, le thérapeute interroge la famille pour clarifier les changements qui ont été constatés. Une fois que les membres de la famille ont clairement identifié ces changements, le thérapeute s'efforce d'élargir et de consolider ces descriptions dans l'avenir (Lipchik et de Shazer, 1986).

Lorsque la famille a effectué une tâche prescrite de manière concrète, mais qu'aucun changement n'est constaté, il peut être nécessaire de redéfinir le problème. Si la famille n'a pas effectué une tâche prescrite, alors les tâches de prédiction ou d'observation peuvent être mieux adaptées au système client (de Shazer, 1988).

L'utilisation des questions

White et de Shazer utilisent tous deux des questions pour obtenir, clarifier et améliorer les descriptions des moments où le problème n'a pas d'influence sur la vie des clients. White appelle ces "résultats uniques", tandis que de Shazer les appelle "exceptions". White assimile les résultats uniques à des exceptions, notant que "l'idée d'exceptions produit des 'personnes exceptionnelles' et celle de résultats uniques produit des 'personnes uniques'" (1989a, p. 37). Nous pensons que White a poussé le concept d'"exceptions" au-delà du sens voulu par de Shazer. L'intention de White est de co-construire de nouvelles descriptions avec ses clients, tandis que l'intention de de Shazer est d'introduire une nouvelle définition du contexte. Les questions sur des témoignages singuliers invitent les familles à relier un certain nombre de résultats uniques. Les questions de "re-description unique" invitent les membres de la famille à attribuer une signification aux résultats uniques et aux témoignages singuliers par une re-description d'eux-mêmes, des autres et de leurs relations. Par exemple : "Pensez-vous que cette nouvelle image de vous-même qui va de pair avec cette nouvelle voie correspond mieux à votre genre de personne que l'ancienne image ? Si oui, pourquoi vous convient-elle mieux ? (White, 1989a, p. 43). Ces nouvelles descriptions vont au-delà de l'"internalisation du sentiment d'initiative personnelle" (Tomm, 1989) pour internaliser de nouvelles qualités, aptitudes et histoires. Les questions de de Shazer amènent et amplifient des schémas de solutions afin de redéfinir les contextes (Lipchik et de Shazer, 1986).

La formulation des hypothèses

Comme nous l'avons noté ci-dessus, ni White ni de Shazer ne trouvent très utile l'idée de symptômes fonctionnels dans les familles. Ils n'utilisent pas non plus l'approche de formulation et de mise à l’épreuve des hypothèses de l'équipe de Milan (Selvini Palazzoli et al., 1980). Ils seraient probablement d'accord avec les vues de O'Hanlon (1986) sur la formulation d'hypothèses :

Les gens de Milan aiment à dire qu'il ne faut pas "épouser" son hypothèse, mais je suis plus enclin à dire qu'il ne faut même pas draguer son hypothèse. Je pense que les hypothèses ne sont au mieux que des distractions et au pire deviennent des prophéties auto-réalisatrices (sic)... Tous les thérapeutes brefs devraient avoir des canapés dans leur bureau... pour que le thérapeute puisse en faire usage dès qu'il a une hypothèse - il devrait s'allonger jusqu'à ce qu'elle disparaisse ! (p. 33)

Relation avec d'autres approches

White

La description et l'analyse de l'oeuvre de White par Munro (1987) la distinguent d'un certain nombre d'autres approches. Par exemple, le travail de White et l'approche de Milan concrétisent les idées de Bateson de manière très différente. Les collègues de Milan introduisent l'information par des questions circulaires (Fleuridas, Nelson et Rosenthal, 1986), qui font ressortir les différences entre et parmi les membres de la famille pour ce qui est des croyances, des comportements et des relations. White, en revanche, introduit l'information en confrontant la description de la famille saturée de problèmes, à une deuxième description, en minimisant les différences entre les membres de la famille. Munro suggère que White procède comme s'il y avait une réalité objective (c'est-à-dire la deuxième description) qui devrait être préférée à d'autres constructions de la réalité, alors que l'approche de Milan part du principe qu'il n'y a pas de "vérité" objective. En outre, alors que l'approche milanaise considère l'effet de l'observateur sur le système, Munro, commentant une description antérieure du travail de White, déclare que White ne fait pas référence à l'effet de l'observateur sur le système. Il affirme que pour ces raisons, l'approche de White est une approche cybernétique de premier ordre.[13]

Depuis la publication de l'article de Munro en 1987, White a développé son approche dans l'esprit d'une seconde approche cybernétique. Tout d'abord, son utilisation de l'analogie textuelle (White, 1989a ; White et Epston, 1990) suggère qu'il est co-auteur de nouvelles histoires avec ses clients. Deuxièmement, l'utilisation des questions par White (White, 1989a) montre clairement qu'il conceptualise un système thérapeute-client. Par exemple, la question "Quel type de cheminement dans la vie pensez-vous que j'associe à ce fait marquant ?" confirmerait ce point de vue. Nous considérons donc l'approche de White, de même que le modèle de Milan, comme relevant d'une seconde approche cybernétique. Si l'on examine la description que fait Sluzki (1983) des thérapies systémiques, l'approche de White est, de même que le modèle de Milan, une approche fondée sur la vision du monde. Cela serait conforme à notre point de vue selon lequel l'intention thérapeutique de White est d'introduire de nouvelles définitions des personnes.

de Shazer

En termes d'approches connexes, le "cousin proche" de l'approche centrée sur les solutions est le modèle MRI (Watzlawick, Weakland et Fisch, 1974). En fait, Munro (1987) a regroupé de Shazer et le MRI en tant que modèles cybernétiques de premier ordre. Les deux approches se concentrent étroitement sur les schémas interactionnels, le schéma du problème dans le cas du MRI, le schéma de la solution dans le cas de de Shazer. Les deux se concentrent sur la pensée polarisée[14] comme un processus par lequel les problèmes sont maintenus. De plus, les deux se sont concentrées sur la boucle de rétroaction positive comme modèle pour décrire le processus de changement. Comme le dit de Shazer : "Seul un petit changement est nécessaire" (1985, p. 16).

Les approches centrées sur les solutions diffèrent du MRI en ce qu'elles mettent l'accent sur l'alliance entre le thérapeute et le client. Par exemple, dans l'approche MRI, le thérapeute "vend" un recadrage comme étant la réalité (Munro, 1987), alors qu'une approche centrée sur la solution répondrait au mode de fonctionnement des clients et co-construirait une réalité alternative avec eux. Un thérapeute MRI pourrait créer une épreuve ou un pacte avec le diable pour accroître la "motivation" du client à changer, tandis qu'un thérapeute axé sur la solution évaluerait s'il existe une relation de "visiteur/touriste", de "plaignant" ou de "client". En raison de la place importante accordée à l'alliance et au rôle du thérapeute dans le système, nous considérons l'approche de de Shazer comme une approche cybernétique de second ordre. L'accent mis sur les schémas interactionnels suggère, selon la conceptualisation de Sluzki (1983), qu'il s'agirait d'une expression orientée vers les processus de la thérapie systémique. Ce serait conforme à l'intention thérapeutique de redéfinir les contextes.

L'évolution de la thérapie constructionniste/systémique

Real (1990) a retracé l'évolution des thérapeutes constructionnistes / systémiques. Actuellement, ces thérapies évoluent d'une "période batesonienne, basée sur l'information", dans laquelle la principale métaphore de la thérapie est la création de "nouvelles différences", vers une "période constuctionniste ou basée sur le langage". Cette évolution reflète le passage d'un système "observé" à un système "observant" (von Foerster, 1981). La métaphore centrale de la thérapie est celle de la conversation.

Les travaux de White datant d'il y a cinq ans (par exemple, White, 1986a) reflètent clairement la période basée sur l'information de Bateson. La double description était le principe d'organisation de son travail. Son approche plus récente de l'analogie textuelle (White et Epston, 1990) suggère que son travail, bien qu'assez similaire, a évolué vers un mode davantage basé sur le langage. Le fait de co-écrire une nouvelle histoire semble être une description beaucoup plus collaborative de la thérapie que de recourir à la double description.

À première vue, les travaux de de Shazer (1982, 1985, 1988) semblent avoir plus de points communs avec la tradition batesonienne, basée sur l'information, car ils se concentrent sur le bouleversement des schémas de pensée et sur la conduite d'entretiens interventionnistes (Lipchik et de Shazer, 1986). La co-création de réalités thérapeutiques est apparue avec force en 1988, lorsque de Shazer a commencé à conceptualiser le concept d'" adéquation" (fit) différemment de ce qu'il était auparavant. "Adéquation" désignait auparavant "la relation entre l'intervention et les schémas positifs satisfaisants" (Molnar et de Shazer, 1987, p. 350 ; cf. de Shazer, 1985), mais a évolué pour désigner la relation entre le thérapeute et le système client :

Tout au long de la séance, le thérapeute doit être en alliance avec la ou les personnes qu'il est amené à rencontrer. Ce type de relation... implique un type particulier de proximité, de réactivité ou d'harmonie... Cette alliance est un processus mutuel impliquant à la fois le thérapeute et les personnes avec lesquelles il discute, au cours duquel ils se font mutuellement confiance, se portent une attention particulière et acceptent la vision du monde de l'autre comme valable, précieuse et significative. (1988, p. 90)

Bien que les travaux de de Shazer aient tendance à être considérés comme basés sur les exceptions, le développement de leur adéquation est une composante indispensable du modèle centré sur les solutions. Ce point de vue co-constructiviste suggère une adéquation avec une description basée sur le langage. Plus récemment, de Shazer (1991) a qualifié la thérapie de "jeu de langage" et de processus de développement narratif, ce qui reflète clairement son évolution avec le reste du domaine vers une description basée sur le langage.

Conclusion

Bien que les deux approches thérapeutiques de Michael White et Steve de Shazer soient théoriquement très comparables, elles sont très différentes sur le plan du style et de la pratique. Les distinctions essentielles sont les différences d'intention thérapeutique (redéfinition des personnes vs. redéfinition des contextes) et de posture face au problème (approche contre le problème vs l'approche d'utilisation). Nous considérons ces approches comme des seconds modèles cybernétiques alternatifs qui fonctionnent de manière à redonner le pouvoir aux clients. Leur focalisation sur les forces et les solutions les place à la pointe d'une nouvelle tradition de co-constructivisme en psychothérapie.

Remerciements

Nous tenons à remercier Karl Tomm et William Hudson O'Hanlon pour leurs commentaires sur les versions précédentes de cet article et leurs encouragements personnels. Nous aimerions également remercier nos collègues de l'équipe clinique de Wood's Homes au cours des années 1988-1991 pour avoir fourni une ambiance d'équipe stimulante et le soutien indéfectible nécessaires à la co-création de ces idées. Ce chapitre est basé sur les travaux présentés précédemment à la Family Therapy Participants' Conference à Calgary, en mai 1988, et à la réunion de la Alberta Association for Marriage and Family Therapy à Edmonton, en octobre 1988.

Commentaires de Steve de Shazer

de Shazer & White : vive la Différence

Il est clair que Jeff Chang et Michel Phillips ont fait un travail méticuleux et approfondi. Mes collègues et moi-même[15] sommes très impressionnés. Il n'est pas facile de faire le lien entre un modèle évolutif comme le nôtre car, à tout moment, il peut se produire quelque chose qui entraîne un nouveau changement de "style" ou un nouvel éclairage, et donc une modification de la façon dont on lit ce qu'on lit. Les auteurs ont saisi au moins une partie de cette évolution en lisant les différents livres et articles que mon équipe et moi-même avons publiés entre 1975 et 1991. Non seulement ils ont beaucoup lu, mais ils ont aussi très bien lu.[16]

Introduction

Selon moi, en règle générale, un énoncé théorique peut être exprimé par une quarantaine d'énoncés cliniques/pratiques/compétences/techniques. Il n'y a donc rien de foncièrement impossible à ce que deux, trois, voire même des pratiques très distinctes soient considérées comme basées sur des approches théoriques identiques ou très similaires. En fait, c'est très probable. Il est toutefois important, à mon avis, de pouvoir "raisonner" en théorie à partir d'observations directes de la pratique : les deux approches différentes doivent parfaitement s'accorder.

Je pense qu'il est important de noter dans ce contexte que "différent" signifie " non semblable ", " pas le même ", " pas pareil ", par exemple 2 plus 2 est différent et non semblable à 3 plus 1, et les deux sont différents et non semblables à 2 fois 2. Les trois équations sont similaires en ce sens qu'elles sont toutes égales à quatre, mais "similaire" ne signifie pas "identique" et on pourrait dire que les différences entre elles ajoutent à la richesse de notre description du concept "4". La différence n'a rien à voir avec les jugements de valeur tels que "juste", "faux", "bon", "mauvais", "meilleur", "pire", "inférieur", "supérieur". Simplement, la distinction et la différence sont ce qui permet d'éviter que tout soit pareil. Nous utilisons des mots pour marquer les distinctions et les différences. Bien que les mots désignent la façon dont nous les utilisons (Wittgenstein, 1968), Humpty Dumpty avait tout faux lorsqu'il a déclaré : "Lorsque j'utilise un mot... il signifie exactement ce que je choisis de signifier - ni plus ni moins". "La question est", a dit Alice, "de savoir si vous pouvez faire en sorte que les mots aient autant de sens différents". Et Humpty Dumpty avait tout à fait raison lorsqu'il a poursuivi : "La question est de savoir... qui doit être le maître - c'est tout" (Carroll, 1972, p. 90). Et Jacques Derrida (1978, 1981) a raison lorsqu'il dit que la réponse à la question de Humpty Dumpty est : "C'est le mot qui est le maître, pas son utilisateur" (Carroll, 1972, p. 90). Un mot signifie toujours à la fois plus et moins que ce que nous, en tant qu'utilisateurs, en tant qu'auteurs, voulons qu'il signifie.

La thérapie familiale, la distinction avec la thérapie brève

Il me semble que la similitude constatée par Chang et Phillips est due en partie au fait qu'ils situent à la fois mon travail et celui de White dans le cadre de la "thérapie familiale". Un examen attentif ou une (mauvaise) lecture[17] de mes travaux, même de mes premiers écrits, révélera que je ne situe pas et n'ai jamais situé mon travail dans la tradition de la thérapie familiale. J'ai plutôt toujours qualifié mon travail de "thérapie brève"[18].

Cette distinction est loin d'être anodine. Par exemple, dans la "tradition de la thérapie familiale", la famille est généralement considérée comme le patient, alors que dans la tradition de la thérapie brève, le "patient" (si ce terme peut être employé ici uniquement à des fins de comparaison) est considéré comme le problème/solution sur lequel le client et le thérapeute travaillent (de Shazer, 1991).

Bien sûr, on pourrait penser que cette distinction me gêne ou m'empêche de voir la similitude et les similarités que Chang et Phillips voient. Cependant, le tout premier article de Michael White que je me souviens avoir lu (White, 1986a) m'a donné l'idée que des développements similaires se produisaient dans la tradition de la thérapie familiale et j'étais très impatient de voir en quoi son travail avec les clients ressemblait au mien. Malheureusement, il s'est avéré que je devais attendre longtemps. J'étais plus qu'heureux de voir une certaine ressemblance entre son travail écrit et le mien. Par la suite, les gens qui participaient à des séminaires, des ateliers et des formations m'ont posé des questions sur les similitudes et les différences de sorte que j'ai commencé à me dire que les différences pourraient être plus importantes ; la lecture de ses derniers articles m'a conduit dans la même direction. Cependant, je voulais attendre d'avoir vu son travail avec des clients pour en tirer une conclusion.

Technologie et Science

En ce qui concerne les aspects "technologiques" de notre travail, je pense que "Technologie vs Art" est une distinction qui crée de la confusion et donc une perturbation. Pour autant que je sache/se souvienne, je n'ai jamais utilisé le terme "science" pour désigner mon travail, ni le terme scientifique "reproductible" et je ne parle pas de méthodes "empiriques". Notre point de vue est plus proche du concept de "transférabilité" de Lincoln et Guba (1985). Mon point de vue est beaucoup plus simple et beaucoup moins "profond".

Lorsque nous regardons un artiste, qu'il s'agisse d'un saxophoniste ou d'un joueur du champ centre[19], nous voyons l'aboutissement d'un long entraînement. En d'autres termes, pour qu'un artiste puisse jouer, il doit maîtriser les techniques de base et avoir un contrôle absolu de son instrument. C'est vrai dans le monde de la musique classique et, peut-être plus encore, dans le monde du jazz, et c'est certainement vrai dans le domaine du baseball. Sans la maîtrise des compétences de base, le "comment" de la performance est un mystère. Dans une certaine mesure, les pratiques de la thérapie du jazz et du baseball sont très similaires. À chaque étape du parcours, le praticien (le thérapeute et/ou le musicien et/ou le joueur de champ) décide[20] "spontanément" lesquelles de ses compétences sont pertinentes dans le contexte de son activité. Sans les compétences de base, en soufflant dans un saxophone, il pourrait avoir la chance de produire un couac. Un thérapeute sans les compétences de base ? Eh bien, j'ai observé de nombreuses séances au cours desquelles les choses allaient de mal en pis.

L'empirisme et le positivisme (et le terme associé "répliquer") n'entrent pas du tout en ligne de compte. L'objectif premier de l'aspect dit technologique de notre travail est de décrire avec une certaine rigueur les compétences de base du thérapeute en matière d'élaboration de solutions, afin que quelqu'un puisse les apprendre.

Construction, Destruction, Déconstruction

Comment dire ce que je sais
Avec des mots dont la signification
Est multiple ;
Des mots, comme moi, qui changent
Quand on les regarde,
Dont la voix est étrangère ?
- Edmond Jabès (1959, p. 41)

Ailleurs dans ce livre, John H. Weakland (chapitre 6) nous met en garde contre les abus de terminologie et les trop fréquents amalgames et confusions qui en résultent. Chang et Phillips ont fait remarquer que White et moi (considérés comme des "constructivistes" dans la manière dont la "thérapie familiale" utilise le terme) utilisons tous deux le terme "déconstruction" dans nos écrits pour désigner certains aspects de notre travail clinique. À mon avis, Chang et Phillips sont induits en erreur, c'est-à-dire qu'ils sont attirés ou séduits par le fait que White et moi utilisons tous deux le terme "déconstruction", bien que chacun d'entre nous l'utilise d'une manière très différente.

Bien qu'il n'existe pas de définition universelle de la "déconstruction", et qu'une telle définition ne soit ni possible ni souhaitable, il existe néanmoins une certaine ressemblance parmi les activités déconstructivistes (Norris, 1982, 1983). Par exemple, Elizabeth Grosz (1990) dans son étude féministe sur Jacques Lacan décrit la "déconstruction" comme impliquant "une lecture patiente et très attentive du texte", impliquant de regarder un texte "d'un point de vue qui soit en accord avec les préoccupations du texte et sa logique ; et en même temps, de le lire du point de vue de ce qui est laissé de côté, exclu ou inexprimé par lui mais qui est nécessaire à son fonctionnement". Ainsi, ce mode de "lecture d'un texte à la fois de l'intérieur et de l'extérieur de son contenu, c'est-à-dire de ses limites, doit rester un acte ambivalent d'amour et de respect, d'affirmation de soi et de distanciation critique" (Grosz, 1990, p. 190).

L'unité d'analyse ici est l'auteur, le texte et le lecteur ; si nous reportons le cadre de cette activité dans le monde de la thérapie, l'unité d'analyse est le(s) client(s) et le thérapeute et la conversation qu'ils ont ensemble sur les difficultés du client. Ces approches tentent d'utiliser la structure d'une construction (y compris ce qui est laissé de côté, exclu, etc.) pour faire apparaître la construction elle-même, permettant ainsi le développement de nouvelles significations.

À mon avis, cela se reflète dans notre utilisation du langage et de la logique du client (plutôt que la nôtre) pour faire en sorte que toute différence perçue fonctionne de telle manière que la différence ouvre la possibilité de développer de nouvelles significations, de nouveaux comportements, etc.

Si White reconnaît que son utilisation du terme "déconstruction" n'est pas synonyme de la définition académique, ce dont il semble parler est un désassemblage ou un démontage radical et critique de la construction de la réalité par les clients. Académiquement, cela semble plus proche de la "destruktion" heideggérienne (Gasche, 1986, p. 111), une destruction d'une construction à partir de l'extérieur. Cela semble se refléter dans l'utilisation par White de ce que les auteurs appellent son "décodeur" politique comme outil de remise en cause des croyances de la famille. Bien que le terme "déconstruction" puisse sembler préférable dans le contexte de l'utilisation du terme "constructivisme" en "thérapie familiale", le terme "destruction" est un terme parfaitement adapté, accepté depuis longtemps et très respecté pour ce type d'activité.

Différence

J'en viens maintenant à mon point central : je ne suis pas d'accord avec l'affirmation des auteurs selon laquelle "les théories du changement adoptées par White et de Shazer sont fondamentalement les mêmes"[21] (p. 105). Afin d'établir clairement les différences entre ce que je considère comme des théories du changement radicalement distinctes, je souhaite décrire et montrer la distinction radicale entre le concept de "résultats uniques" (unique outcomes) de White et notre concept d'"exceptions", ainsi que la distinction radicale qui en découle entre "anti-problème" et "solution".

Premièrement, je ne suis pas d'accord avec la déclaration de White (1986b) selon laquelle les termes/concepts de "résultats uniques" et "exceptions" sont identiques, sont en fait interchangeables, et donc que les "résultats uniques" produisent des personnes "uniques" tandis que les "exceptions" produisent des personnes "exceptionnelles". Le mot "unique" suggère qu'il s'agit d'un événement ponctuel et passe à côté de l'essentiel, et le mot "résultat" signifie un dénouement : les exceptions sont des moments ou, mieux, des descriptions de moments où la plainte est absente ; le terme "exceptions" a toujours une forme plurielle. Les exceptions à la règle de la plainte sont toujours considérées comme répétables au point que "l'exception devient la nouvelle règle", une idée entièrement manquée par le terme "résultat unique" qui implique la non-répétabilité (puisqu'un "résultat" est généralement défini comme une fin ou un produit). En outre, c'est une question de rhétorique : bien que je sois conscient que White utilise un trope, une figure de style, malgré tout : les concepts ne peuvent pas produire des personnes.

Deuxièmement, je suis également en désaccord avec l'idée des auteurs selon laquelle les "résultats uniques" sont utilisés pour redéfinir les personnes tandis que les situations sont redéfinies par le biais d'"exceptions". D'après ce que je peux voir, lorsque les gens parlent des situations (contextes) dans lesquelles ils se trouvent, alors parler de la situation implique également les personnes dans cette situation. Il faut faire attention à ne pas séparer les personnes du contexte ou le contexte des personnes.

À mon avis, notre concept d'exceptions est plus large que cela : nous considérons les "exceptions" comme des signes et/ou des signaux et/ou des indications et/ou des comportements et/ou des pensées et/ou des paroles qui indiquent qu'une solution a déjà été amorcée ! Autrement dit, le contexte n'est pas figé, et les personnes ne sont pas non plus déconnectées de la situation.

Jusqu'à présent, mes commentaires ont été basés sur ce qui a été écrit sur les "exceptions" et les "résultats uniques". Maintenant, je veux faire le lien entre la pratique et la théorie.

Sur la base de la cassette vidéo que White a montrée à Tulsa[22] (qui, je suppose, était destinée à illustrer la pratique et la théorie actuelles, tout comme les cassettes vidéo que j'y ai montrées), je trouve surprenant et intéressant que White semble utiliser des "résultats uniques" comme outil dans la lutte contre le pouvoir de l'anorexie. Selon moi, ce que les auteurs appellent le "décodeur" politique de White est ce qui construit l'équation "résultats uniques" est égal à "anti-anorexie". Cela donne "pro-anorexie contre anti-anorexie", ce qui met précisément l'accent sur "l'anorexie". C'est-à-dire que l'"anorexie" est toujours le point central de la vie du client et donc l'"anorexie" n'a rien perdu de son "pouvoir d'oppression". En fait, elle a maintenant deux façons d'"opprimer la victime" (y compris toute la famille), c'est-à-dire des façons "pro-" ainsi que des façons "anti-". Son comportement pendant la séance indique qu'il pense avoir une meilleure façon de faire : il présente son "décodeur", son jargon cybernétique/politique, sa vision du monde ; en bref, il utilise son langage plutôt que celui du client. Un autre point de différence entre les deux pratiques et théories qui, à mon avis, est loin d'être négligeable.

Par conséquent, mon point de vue, ma mauvaise interprétation de la pratique de Michael White, est en accord avec celle de Munro et en désaccord avec celle des auteurs : la pratique de White suggère fortement qu'il croit effectivement en une réalité objective. Grâce à son "décodeur", il va enseigner aux clients une (ou plusieurs) meilleure(s) façon(s) de faire face à cette réalité. Il leur confirme que l'anorexie est puissante et qu'elle a besoin de pratiques "anti" répétées pour la tenir à sa place, c'est-à-dire sous contrôle. Il ne s'agit pas d'une pratique "à la fois/et" (both/and) mais d'une pratique "soit/soit" : quelque chose est soit "pro-anorexie", soit "anti-anorexie".

Ainsi, passer de la théorie à la pratique confirme pour moi qu'il existe des différences cruciales entre le concept de "résultats uniques" de White et notre concept d'"exceptions" tel qu'il se reflète dans sa pratique. Ces différences sont encore plus marquées que je ne l'avais cru auparavant. White établit une distinction "pro-problème"/"anti-problème (résultats uniques)", tandis que je fais une distinction "problème"/"solution (exception)". Il est clair pour moi maintenant que son "anti", son concept de "résultats uniques" est du côté "problème" de ma classification. Sa pratique clinique consistant à construire la prévisibilité historique du "résultat unique" compromet son caractère unique et met l'accent sur le résultat ou la fin d'un long processus. Le "résultat unique" est désormais tout aussi historique que le problème dont il ne constitue qu'une partie. Puisque le "résultat unique" est construit comme un événement historiquement prévisible, il est alors tout aussi déterminé par la cause que le reste du problème, plutôt que comme le moment décisif que je pensais qu'il décrivait. En tant que tel, il laisse le concept d'"anorexie" intact.

Le point de vue de Michael White est donc très traditionnel. Il est en fait similaire à la vision traditionnelle de l'alcoolisme qui affirme que, même si une personne n'a pas bu depuis 20 ans, elle reste néanmoins une alcoolique. Ce point de vue conduit assez logiquement au développement d'une "ligue anti-anorexie"[23] parallèle, qui a été très discutée (à Tulsa) par le co-auteur de White, David Epston. C'est-à-dire que l'externalisation du problème et du résultat unique, les objective et les personnalise : En pratique, l'"anorexie" existe comme une chose réelle.

En revanche, selon moi, les "exceptions" indiquent le début d'une nouvelle vie sans le problème, c'est-à-dire sans "pro-anorexie" ni "anti-anorexie". Ainsi, une fois que les exceptions ont été décrites, nous commencerons à parler du problème comme " celui-ci " et à le situer dans le passé. C'est pourquoi je veux continuer à établir une distinction radicale entre "résultats uniques" et "exceptions", qui sont, à mon avis, des concepts très différents et font partie d'une théorie du changement très différente.

Le concept de "solution" de White est un concept classique dans lequel la solution est intimement liée, dépendante et déterminée par le "problème" (à la fois les forces "pro" et "anti"). Depuis 1982, et, je l'espère, avec une clarté croissante depuis lors (de Shazer, 1985, 1988, 1991), nous avons établi une distinction radicale entre "problème" et "solution", décrivant ce qui n'est qu'une relation symbolique entre les deux concepts.

En termes de résultats thérapeutiques, l'approche de White pourrait bien fonctionner : je n'en doute pas. L'"anti-anorexie" peut remplacer la "pro-anorexie" et le client peut donc être satisfait. À mon avis, il est normal que l'"anti-anorexie" devienne un symptôme de substitution bénéfique tant que les clients ne s'en plaignent pas et sont satisfaits. Ils l'oublieront probablement au bout d'un certain temps.

Conclusion

Je tiens à remercier Jeff Chang, Michele Phillips, Michael White et les organisateurs de la conférence de Tulsa pour m'avoir donné l'occasion de préciser ma pensée sur les similitudes et les différences entre l'approche de White et la mienne. On pourrait dire que les différences entre elles ajoutent à la richesse de notre description du concept de "thérapie". Il est maintenant temps de voir si ces différences peuvent être mises à profit de manière utile.

J'ai maintenant un moyen de répondre lorsque les participants à un atelier me demandent de comparer et de confronter mon travail avec celui de Michael White. Au fil des ans, ma réponse habituelle était : "Je ne peux pas le faire parce que je ne l'ai jamais vu travailler".[24] Maintenant que j'ai vu des vidéos de son travail et que j'ai mal lu ce document, je peux au moins commencer à répondre à ces demandes de comparaison.

Les "résultats uniques" et les "exceptions" sont des concepts très différents. Ils conduisent à, découlent de, et sont liés à des pratiques cliniques et des théories du changement très différentes. Les "résultats uniques" sont utilisés en pratique dans le cadre de la lutte contre le problème, tandis que les "exceptions" sont utilisées comme preuve que la solution a déjà fait son apparition.

Les "résultats uniques" et les "exceptions" sont des concepts très différents. Elles conduisent à, découlent de, et sont liées à des pratiques cliniques et des théories du changement très différentes. Les "résultats uniques" sont utilisés en pratique dans le cadre de la guerre contre le problème, tandis que les "exceptions" sont utilisées comme preuve que la solution a déjà fait son apparition.

Je suis donc plus impressionné par les différences que par les similitudes. En fait, les différences étayent et réaffirment ma thèse selon laquelle les deux approches sont membres de familles différentes (axées sur les problèmes / axées sur les solutions), de traditions différentes (thérapie familiale / thérapie brève) et ne sont pas du tout "théoriquement compatibles" ! Métaphoriquement, la relation entre les deux théories, modèles et pratiques est similaire à la relation entre les pommes et les pommes de pin. C'est-à-dire que le terme "pomme" dans le nom de ces deux fruits très différents implique et suggère une similitude qui n'existe pas.

Commentaires de Michael White

Les histoires du présent

J'ÉTAIS ASSEZ HÉSITANT à rédiger une réponse au chapitre de Jeff Chang et Michele Phillips, et j'ai attendu la dernière minute pour le faire. Cette hésitation n'avait rien à voir avec ce que Jeff et Michele avaient écrit. En fait, j'admire vraiment leur travail. En plus de tout le reste, il reflète une érudition exceptionnellement bonne. Passer en revue, en un seul chapitre, le travail de Steve de Shazer ainsi que le mien, et inclure un compte-rendu du développement de nos idées et pratiques actuelles ainsi qu'une comparaison de celles-ci, n'est pas une mince affaire. Le fait de le faire et de démontrer une compréhension de certaines des nuances les plus subtiles des approches respectives est en effet une prouesse.

Mon hésitation concernait plutôt les questions que je me posais sur le type de réponse que je pourrais apporter à la discussion. Ces questions étaient liées à plusieurs facteurs. Premièrement, quel type de commentaire sur la comparaison de Jeff et Michele serait susceptible de faire avancer la discussion ? Leur article était complet et j'étais d'accord avec nombre de leurs conclusions, du moins celles qui concernaient mon travail (bien que l'hypothèse selon laquelle les idées de l'hypnothérapie auraient pu jouer un rôle important dans le développement de mon travail ne touche pas une corde sensible).

Deuxièmement, j'ai éprouvé une certaine appréhension à l'idée de comparer mon travail avec celui de Steve dans la mesure où cela m'obligeait à fournir quelques descriptions de son travail. J'avais, dans une publication de 1988, commenté ce que je supposais être des similitudes dans nos idées respectives d'exceptions et de résultats uniques, suggérant même que les termes étaient interchangeables. Par la suite, Steve a fermement rejeté cette idée. Avec le recul, je me rends compte que j'ai fait cette comparaison sans avoir acquis une bonne connaissance de son travail, et je considère ce rejet comme justifié, bien que je ne sois pas d'accord avec les raisons qui l'ont motivé. Bien que j'apprécie la générosité suggérée dans la position de Steve sur la "(mauvaise)lecture", je suis sûr qu'une distinction peut être faite entre une (mauvaise)lecture informée et une (mauvaise)lecture mal informée. J'avais supposé une familiarité avec son travail que je n'avais pas, et pour cela je lui dois des excuses.

La troisième raison qui m'a fait hésiter à répondre concerne le texte de Steve sur le travail de Jeff et Michele, qu'il m'a envoyé il y a quelque temps. Le récit de Steve sur mon travail, ou, comme il le préférerait probablement, sa (mauvaise) lecture de mon travail, l'a rendu pratiquement méconnaissable pour moi. Bien qu'il s'agisse d'un compte rendu de mon travail qui est manifestement partagé par une communauté particulière de personnes, comprenant Steve de Shaker, Insoo Kim Berg, Larry Hopwood, Jane Kashnig et Scott Miller, ce n'était pas assez "proche de l'expérience" pour moi (ou proche de l'expérience pour une autre communauté de personnes) pour entamer un dialogue et en tirer des enseignements.

Compte tenu de cela et du fait que je n'ai qu'une connaissance passagère (mais maintenant mieux informée, espérons-le) du travail de Steve, j'ai finalement décidé que la meilleure façon de contribuer à la discussion était d'approfondir certains aspects de mon propre travail. Toutefois, avant de procéder à cette analyse, j'aimerais faire quelques commentaires sur ce que je perçois comme étant quelques unes des contributions générales mais importantes de Steve de Shazer dans ce domaine.

Selon moi, Steve de Shaker a joué un rôle clé dans la remise en question de la pensée et des pratiques pathologisantes et insuffisantes qui ont tellement saturé la culture de la psychothérapie. Il n'est pas possible de surestimer cette contribution si l'on considère que l'invention de la psychopathologie est probablement la réalisation la plus importante et la plus centrale de la culture de la psychothérapie. Il a directement remis en question non seulement cette invention, mais aussi les pratiques d'asservissement qui lui sont associées. Et il va plus loin que cela. Il évite également les traditions de pensée structuralistes et fonctionnalistes qui ont rendu possible, en premier lieu, la construction des psychopathologies, des troubles et des dysfonctionnements. Bien que cela dépende entièrement de sa propre définition du terme "politique", je ne peux m'empêcher d'observer un aspect politique dans le résultat de son travail.

Une autre contribution concerne son aptitude à expliquer clairement les pratiques concrètes, les compétences mêmes que les thérapeutes doivent développer, concernant la thérapie brève, et je pense qu'il en a fait l'une des approches fondées sur les compétences les plus accessibles et les plus intuitives disponibles aujourd'hui. Il a complété ce travail en s'opposant à l'obscurantisme dans le domaine de la théorie et des idées, et en prônant la rigueur dans la pensée. Je ne sais pas si cela correspondrait à la définition que Steve donne d'une exception dans le domaine de la psychothérapie, mais cela correspond à ma définition d'une exception.

Je ne veux pas dire que ce sont les seules contributions de Steve, ni qu'elles éclipsent d'autres contributions, mais elles viennent immédiatement à l'esprit quand on pense à son travail. Il a sans aucun doute été un acteur central de la "mégatendance" dont Bill O'Hanlon a parlé.

Une distinction

Si ces réflexions sur la contribution plus générale de l'œuvre de Steve sont raisonnablement fondées, alors je crois que mon travail peut, dans une certaine mesure, être aligné sur le sien. Cette réflexion me permet d'envisager l'idée que nous pourrions partager certains objectifs communs, et elle pourrait expliquer pourquoi d'autres ont, à l'occasion, supposé que nous étions des esprits proches.

Toutefois, en m'éloignant des généralités et en me familiarisant davantage avec les détails des travaux de Steve, je suis parvenu à la conclusion que l'analogie entre les pommes et les ananas est probablement correcte, les différences entre nos idées et nos pratiques respectives étant bien plus évidentes et importantes que les ressemblances. En fait, en y regardant de plus près, les différences sont si nombreuses que, en essayant de dégager celles qui pourraient être pertinentes pour la présente discussion, je ne savais guère par où commencer.

Après y avoir réfléchi, j'ai décidé de me concentrer ici sur la distinction qu'il faut faire autour de la question de l'"histoire". Comme la position de Steve sur l'histoire est assez évidente dans son article, je ne vais pas tenter de la décrire ici. Je vais plutôt tenter de faire valoir, de manière plus complète, mon intérêt pour les "histoires du présent", pour l'histoire du présent dominant et pour les histoires du ou des présent(s) alternatif(s). Comme j'ai une compréhension très particulière des histoires du présent, il me faudra situer cette discussion dans son contexte.

Mon intérêt pour les histoires du présent se situe dans le contexte d'une tradition de pensée que j'appellerai ici, faute de mieux, "constitutionnalisme", et s'inspire considérablement des travaux de Michel Foucault et d'autres "théoriciens critiques". Nombre des pratiques de thérapie qui accompagnent cette perspective constitutionnaliste sont, à mes yeux, des formes de "méthode de déconstruction".

Mais avant de poursuivre l'exploration de ces pensées, il faut commencer par un ou deux commentaires. Je ne fais pas cette distinction autour de différentes appréciations de l'histoire pour argumenter sur les mérites relatifs des contributions respectives de Steve et de moi-même. De même, en me concentrant sur cette distinction concernant l'histoire, je ne prends pas position contre une orientation future, en fait, je crois qu'une orientation future est très importante dans mon travail. Je ne souhaite pas me retrouver dans un débat avec d'autres autour de ce que je considère comme des totalisations de mon travail, "tout est histoire". Je n'ai jamais été prêt à offrir à d'autres ce genre de totalisations, et je n'ai pas été capable de me référer à des totalisations de mon travail qui m'ont été présentées à travers les interprétations d'autres personnes.

Constitutionnalisme

Le constitutionnalisme propose qu'en arrivant dans le monde social, les personnes s'engagent dans des modes de vie et de pensée particuliers ou, selon Foucault, dans des pratiques de pouvoir et des savoirs particuliers sur la vie qui ont atteint ou obtenu un statut de vérité. Selon cette perspective, ces pratiques et ces savoirs ne sont pas totalement inventés, l'individu ne se contente pas de les "rêver". Ces pratiques et ces savoirs ont été négociés au fil du temps dans le cadre de communautés de personnes et d'institutions qui constituent la culture. Cette formation sociale de communautés et d'institutions crée des relations de forces qui, en s'engageant dans diverses pratiques de pouvoir, déterminent quelles idées, parmi toutes celles qui sont possibles, sont acceptables, elles déterminent ce qui doit être considéré comme un savoir légitime.

Je n'ai pas l'intention de décrire plus en détail ces processus ici, ni la relation intime entre le savoir et le pouvoir, dont j'ai parlé ailleurs. Cependant, je soulignerai une proposition centrale de cette perspective constitutionnaliste : ces modes de vie et de pensée façonnent ou constituent en fait la vie des personnes et de leurs relations ; la vie des personnes est constituée en fonction de ces savoirs et pratiques, qui sont en fait prescriptifs de la vie. Pour toutes les personnes vivant dans des cultures spécifiques, ces modes de vie et de pensée dominants en viennent à refléter la vérité sur la nature humaine, sur l'authenticité et sur l'identité. Ainsi, ces modes de vie et de pensée dominants représentent l'histoire de l'existence d'une personne dans ce monde.

La perspective constitutionnaliste que je défends réfute les hypothèses fondamentalistes d'objectivité, d'essentialisme et de représentationnisme. Elle soutient qu'une connaissance objective du monde n'est pas possible, que les savoirs sont en fait générés dans des champs discursifs particuliers. Elle propose que toutes les notions essentialistes, y compris celles concernant la nature humaine, sont des ruses qui déguisent ce qui se passe réellement, que les notions essentialistes sont paradoxales en ce sens qu'elles fournissent des descriptions qui déterminent la vie ; que ces notions obscurcissent les opérations du pouvoir. Et la perspective constitutionnaliste propose que les descriptions que nous avons de la vie ne soient pas des représentations ou des reflets de la vie telle qu'elle est vécue, mais qu'elles soient directement constitutives de la vie ; que ces descriptions ne correspondent pas au monde, mais qu'elles aient des effets réels dans le développement de la vie.

Comment cette perspective constitutionnaliste nous positionne-t-elle par rapport aux idées et pratiques familières de nos mondes ? Reprenons une notion qui est devenue un fait acquis dans la discipline de la psychologie. Lorsqu'ils étudient la psychologie dans le cadre de programmes de deuxième et troisième cycles, de nombreux étudiants apprennent que la hiérarchie des besoins de Maslow fournit une vérité objective et universelle ou globale sur la nature des personnes. La discussion de cette hiérarchie s'accompagne généralement d'un exposé de ce que seraient les personnes si elles avaient la possibilité de devenir essentiellement ce qu'elles sont vraiment, c'est-à-dire la possibilité de se réaliser, et d'une description de ce à quoi ressemblerait leur vie dans ces circonstances. Dans une perspective constitutionnaliste, cette hiérarchie des besoins n'est pas considérée comme une vérité objective et universelle, ni comme une identification de ce que nous sommes essentiellement, mais elle est considérée comme une production culturelle qui spécifie une version très individuelle de l'identité d'une personne, une version relativement unique dans la culture occidentale contemporaine.

Et les descriptions de la vie qui accompagnent cette hiérarchie ne sont pas considérées comme des représentations de la vie dans des circonstances où les personnes sont libres d'être vraiment qui elles sont vraiment, mais comme des descriptions qui déterminent la vie, des descriptions qui ont des effets réels en termes de constitution de la vie. Quels sont les exemples des effets réels de ce type de descriptions de la vie ? Avec le type de conceptions de la personne et de techniques de soi qui accompagnent des schémas comme la hiérarchie de Maslow, est-il surprenant que tant de pratiques psychothérapeutiques soient organisées autour des notions de différenciation, d'individuation et d'épanouissement de soi, et se déroulent sur une scène isolée ? Avec les récits de vie qui sont associés à des conceptions si individuelles de la personne, est-il surprenant que la résolution du deuil dans des contextes psychothérapeutiques ait si souvent à voir avec l'aide apportée aux personnes pour qu'elles acceptent la perte et qu'elles continuent à vivre une vie sans l'être aimé perdu ?

Comment pouvons-nous procéder pour déconstruire les vérités établies, pour les rendre visibles en tant qu'idées et pratiques qui sont en fait constitutives de notre vie ? Une approche qui semble relativement efficace consiste à visiter des cultures alternatives. Au cours des 18 derniers mois, j'ai conseillé un service de santé aborigène dans la mise en place d'un service de consultation par des aborigènes pour des aborigènes, adapté à la culture aborigène urbaine. Il serait très difficile de faire ce travail et de ne pas établir de puissantes distinctions entre les différents savoirs et pratiques des différentes cultures, et de faire l'expérience de l'étrangeté de nombreux modes de vie et de pensée pris pour acquis dans sa propre culture.

Comment la présentation d'une hiérarchie des besoins concurrente/alternative contribuerait-elle à la déconstruction de diverses vérités sur l'identité de la personne qui ont été légitimées dans sa propre culture ? Et comment cela contribuerait-il à établir un degré de conscience des effets constitutifs de ces vérités ? Considérez ces questions en relation avec les observations suivantes. Parmi les différents interlocuteurs aborigènes que j'ai eu l'occasion d'interviewer au cours des 18 derniers mois, j'ai découvert une hiérarchie des besoins très différente, une hiérarchie où la solidarité, l'affiliation et la spiritualité sont au sommet. Avec la conception de la personne et les pratiques de soi qui accompagnent cette hiérarchie, est-il surprenant que les processus de guérison traditionnels dans la communauté aborigène soient communautaires ? Avec les récits de vie qui sont associés à cette définition de ce que signifie être une personne dans la communauté aborigène, est-il surprenant de trouver des pratiques de deuil qui mettent l'accent sur le développement d'aptitudes à faire revivre ou à halluciner (ma description ethnocentrique, pas la leur) les êtres chers perdus, d'une manière qui est généralement enrichissante, et qui les soutient particulièrement dans les moments de stress ou face à l'adversité ?

En étant non-fondationnaliste, la perspective constitutionnaliste qui est défendue ici ne nous fournit aucune base pour déterminer laquelle de ces deux perspectives culturelles sur la personne est la version la plus correcte, en fait, ce n'est pas une question qui sera considérée comme pertinente ou à laquelle il faudra répondre. Cependant, ce qui sera évident d'un point de vue constitutionnaliste, c'est que les relations de pouvoir de certaines communautés de personnes et d'institutions ont déterminé que l'une de ces perspectives sur la personne, la première, sera privilégiée par rapport à l'autre et se verra accorder un statut de vérité. L'autre version a été systématiquement disqualifiée et rendue pratiquement invisible. On pourrait dire que la (mauvaise) lecture (pour emprunter un terme de Steve de Shazer) d'un groupe n'est pas acceptée, et se voit donc refuser l'espace social nécessaire à sa reconnaissance et à son affirmation. Ce manque d'équilibre pourrait être corrigé, au moins dans une certaine mesure, et un certain degré de réciprocité pourrait être instauré, par des actions à caractère de "justice sociale".

La déconstruction en pratique

Dans la mesure où certaines des pratiques de thérapie qui s'inspirent d'une perspective constitutionnaliste encouragent les personnes à "localiser" ou à "incarner" leur expérience dans les modes de vie et de pensée du présent dominant, elles peuvent être considérées comme des pratiques de déconstruction. Voyons un exemple.

Certaines jeunes femmes et certains jeunes hommes, ayant adopté l'idée de la "libération" comme moyen de devenir authentiquement ce qu'ils sont vraiment, cherchent une thérapie car, malgré tous leurs efforts pour vivre cette idée, ils continuent à éprouver un malaise ou un sentiment de mal-être personnel. Très souvent, ces jeunes interprètent ce malaise comme le reflet d'une inadaptation ou d'un manque de courage qu'il faut résoudre. Afin d'aider ces jeunes à "localiser" ou à "incarner" leur expérience dans les modes de vie et de pensée du présent dominant, le thérapeute peut suggérer d'explorer les questions suivantes :

  • Quelles sont les pratiques de vie et les façons de pensée qui se retrouvent derrière ce mot de libération ?
  • Quel genre de transformations de votre vie, de votre corps et de votre âme cette façon de vivre et de penser vous impose-t-elle ?
  • Quels sont les effets réels de ces façons de penser et de vivre ? Comment ces façons de penser et de vivre influencent-elles votre vie, y compris vos relations avec les autres ?
  • Si vous deviez aller plus loin dans cette façon particulière d'être, comment cela pourrait-il influencer davantage votre vie ? De quels autres effets concrets pourriez-vous être le témoin ?
  • De quelles autres positions pourriez-vous évaluer ces effets ? Parmi ces positions, quels sont les effets préférés et quels sont les effets qui ne sont pas préférés ?
  • À quel moment de l'histoire l'idée de la libération a-t-elle émergé ? À quoi cette idée a-t-elle servi ? Qu'est-ce que cette idée a rendu possible, et quelles ont été ses limites ?
  • Quels sont les procédés spécifiques par lesquels vous avez été recruté pour participer aux pratiques de vie et aux façons de penser qui sont associées à cette idée de libération ?
  • Par quels processus la notion de libération, en fournissant les bases d'un mode de vie authentique, a-t-elle été privilégiée par rapport à d'autres notions, qui fournissent des revendications différentes sur ces mêmes bases ?

Prenons un autre exemple. Examinons l'expérience des personnes qui ont fait l'objet d'un diagnostic de schizophrénie. Très souvent, ces personnes se soumettent à une pression extraordinaire dans leurs efforts pour acquérir un sens de la valeur morale. Très souvent, elles tentent d'y parvenir en entrant dans le présent dominant de cette culture, un présent qui est constitué par ces modes de vie et de pensée qui spécifient la connaissance de soi, la maîtrise de soi, l'autonomie, l'indépendance et ainsi de suite (l'antithèse de beaucoup des expériences) de ces personnes. Aider ces personnes à localiser ou à incarner leurs efforts dans les attentes et les pratiques de ces modes de vie et de pensée déconstruit ces vérités sur ce qui fait d'une personne une personne de valeur. Cette déconstruction affaiblit leur sentiment d'échec, et les libère pour s'engager dans l'exploration et l'identification d'autres modes de vie et de pensée qui ne nécessitent pas des actes de torture de soi aussi extrêmes afin d'établir ce sentiment de valeur.

Une thérapie d'exploration qui s'appuie sur des questions du type de celles dont il est question ici sert à mettre l'accent sur l'histoire du présent dominant d'une manière très particulière. Cette thérapie encourage les personnes, au moins partiellement, à :

  1. déconstruire ces vérités qui ont reçu un statut objectif en confrontant les modes de vie et de pensée qu'elles impliquent,
  2. révéler le paradoxe qui est associé à toutes les notions essentialistes,
  3. explorer les spécificités des modes de vie et de pensée qui accompagnent ces notions,
  4. prendre conscience, évaluer et surveiller les effets réels de certaines manières d'être et de penser dans la constitution de sa propre vie,
  5. confronter les responsabilités morales et éthiques associées à la façon dont ils vivent leur vie,
  6. localiser des modes de vie et de pensée particuliers dans les structures et les processus qui ont permis leur légitimation et l'exclusion d'autres modes de vie et de pensée,
  7. explorer des modes de vie et de pensée alternatifs.

Il est important que ces questions soient également appliquées aux vérités que les thérapeutes introduisent dans le contexte thérapeutique. Cela confronte les thérapeutes à la responsabilité morale et éthique des effets réels de leur interaction avec les personnes qui demandent de l'aide. Cela exclut la possibilité que les thérapeutes justifient certains résultats sur la base de principes fondamentalistes, "cette détresse est liée au processus d'ajustement à la façon dont les choses devraient être dans la famille", "cette douleur est une étape nécessaire pour aller à la racine du problème", et ainsi de suite.

Contrairement à un certain nombre de critiques sur de nombreux développements post-modernes de la pensée, ces développements que je qualifie de constitutionnalistes n'introduisent pas de formes de relativisme qui pourraient suggérer qu'"une description de la réalité est aussi bonne qu'une autre", ou que "les expériences ne sont traumatisantes que parce que la réalité est décrite de cette manière". Le relativisme du premier type n'est que quelque chose qui peut être atteint dans une perspective fondamentaliste, et le relativisme du second type n'est que quelque chose qui peut être atteint par une forme de "constructivisme radical" ou de perspective "nominaliste".

L'histoire du présent dominant

J'ai proposé que les conversations externalisantes aient un rôle à jouer dans la déconstruction des modes de vie et de pensée qui constituent la vie d'une personne. Encourager les personnes à définir ou à réfléchir sur la relation qu'elles entretiennent avec leurs problèmes ouvre la possibilité pour elles de vivre une séparation ou une distanciation par rapport aux modes de vie et de pensée considérés comme acquis et qui sont en rapport avec le problème. De cette façon, ces modes de vie et de pensée sont rendus étranges, et ils ne parlent plus aux personnes de la vérité de leur identité, de leur vraie nature. Dans le chapitre 2 de ce livre, j'ai comparé ce processus à la démarche proposée par Bourdieu concernant "l'exotisation du domestique". Ainsi, je crois que ces conversations externalisantes aident les personnes à replacer leur expérience dans l'histoire du présent dominant.

J'ai également proposé que les processus qui sont associés à cette exotisation du domestique lèvent, pour les personnes, le voile du choix. Les personnes sont davantage libres d'explorer d'autres modes de vie et de pensée qui pourraient avoir leur place dans leur vie, et d'en évaluer les effets réels. De plus, ces processus encouragent également les personnes à accepter les responsabilités morales et éthiques de ces choix.

J'ai essayé d'associer ces idées à la métaphore narrative. Si le récit constitue la véritable trame de la vie, il est alors raisonnable de penser que l'étude des récits pourrait nous fournir certaines des caractéristiques essentielles de la manière dont la vie est intégrée dans des modes de vie et de pensée particuliers.

Je crois que ces conversations externalisantes qui ont pour effet de faire émerger les histoires personnelles que les personnes ont sur leur propre vie, et qui contribuent à la déconstruction de ces modes de vie et de pensée qui façonnent ces histoires, sont transformatives. Cela n'est nulle part plus évident que dans la thérapie des personnes qui ont été maltraitées/abusées et qui ont été recrutées par des vérités très négatives sur leur identité, par des pratiques de soi qui sont préjudiciables et violentes, et par des pratiques relationnelles qui les isolent. Grâce à ces conversations externalisantes, les personnes font l'expérience de leur détachement/séparation de ces vérités, sont capables de nommer le scénario dominant auquel elles ont été soumises (torture, exploitation, abus, etc.), et commencent à remettre en question les pratiques appauvrissantes du soi et les pratiques relationnelles.

Au fur et à mesure que ce travail avance, les personnes deviennent plus conscientes et plus aptes à honorer leur histoire de résistance à ces modes de vie et de pensée. Il s'agit d'une version particulière de la résistance, qui ne doit pas être gommée, manipulée ou considérée comme une forme de collaboration. Mais c'est une autre histoire, et cela m'amène à parler des histoires du/des présent(s) alternatif(s).

L'histoire du/des présent(s) alternatif(s)

Il y a beaucoup à dire sur l'histoire du/des présent(s) alternatif(s) et je n'en dirai que peu de choses ici. J'ai avancé que ce que j'appelle des résultats uniques sont des passerelles vers ces autres histoires, et donc vers des versions alternatives d'histoires de la vie des personnes. Et j'ai fait de mon mieux pour fournir quelques exemples de la façon dont des résultats uniques pourraient être définis en tant que tels.

Dans la mesure où ces histoires alternatives offrent un nouveau récit de vie, elles sont d'une importance capitale dans ce travail. Lorsque nous prenons au sérieux la métaphore narrative, nous en concluons que ce ne sont pas les contradictions ou les exceptions qui font vivre les personnes, qui fournissent une trame à la vie, mais les histoires, et que c'est la mise en scène de ces histoires alternatives qui transforme la vie des personnes. Il s'ensuit que ces histoires alternatives sont, jusqu'à un certain point, associées à des modes de vie et de pensée alternatifs, dont les effets réels peuvent être étudiés et explorés.

Je voudrais faire trois remarques supplémentaires sur les idées associées à ce travail. Premièrement, je n'ai pas l'intention d'utiliser le terme "résultat unique" pour désigner une contradiction du type de celle à laquelle j'ai fait référence, et je ne suis donc pas prêt à défendre ce terme. Il s'agit d'une description que j'ai empruntée à Erving Goffman, dont j'admire beaucoup le travail. Il existe de nombreuses autres descriptions candidates, y compris "distinction", qui pourraient être appropriées, et peut-être serait-il préférable de se référer à des "lieux" réels, en utilisant des descriptions comme "haute-tension", "brèche ", "carrefour/embranchement", etc.

La deuxième remarque que je voudrais faire est que je crois que les histoires alternatives qui sont générées/ressuscitées dans ce travail ne sont pas " radicalement " inventées " de toute pièce ", si on peut dire. Ces histoires ne se démarquent pas des cultures du monde, ni des faits de la vie des personnes telle qu'elle a été vécue. Encourager une personne à se pencher sur le mystère qui entoure une contradiction peut déclencher la construction de séquences d'événements à travers le temps qui ont donné une cohérence à la vie de la personne. Cette construction est un travail qui se déroule au sein de la culture et au sein de l'histoire personnelle et communautaire.

Le troisième point concerne l'utilisation de l'imagination dans ce travail, il mérite d'être étudié de plus près. Le fait même d'associer la contradiction à un mystère stimule l'imagination, et l'utilisation de langages thérapeutiques particuliers, souvent pittoresques, évoque des images puissantes. Parfois, dans des circonstances particulières, ces images peuvent repousser les limites connues de la culture. Dans d'autres circonstances (voir Wood, 1991), en suivant les idées de Gaston Bachelard, j'ai supposé que ces images puissantes "déclenchent des résonances" qui se répercutent, dans l'histoire, sur certains événements ou expériences qui "retentissent"[25] d'une certaine manière sur une image ; de nombreuses expériences du passé, dont on ne se souviendrait pas dans le cadre d'expériences ordinaires, "s'illuminent" et contribuent à des histoires alternatives.

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Commentaire Récemment, dans la littérature professionnelle, certains partisans de la perspective fondamentaliste ont vivement critiqué les développements post-modernes de la pensée, arguant qu'ils privent les thérapeutes d'une position de valeur et les privent ainsi d'une possibilité d'action. J'espère que j'ai suffisamment insisté sur le fait que ce n'est pas le cas. Ces développements de la pensée que je qualifie ici de constitutionnaliste soulignent à quel point la reconnaissance d'une position de valeur est inéluctable et à quel point les thérapeutes sont tenus d'affronter et d'accepter la responsabilité morale et éthique des effets réels de leurs interactions avec les autres. De plus, cette position constitutionnaliste confronte les thérapeutes à des demandes d'action en rapport avec leur position de valeur/statut.

Je voudrais juste aborder brièvement deux aspects de la position de valeur qui découle de la discussion qui précède, à savoir l'engagement et la solidarité. Le premier, l'engagement, a eu une très mauvaise presse au cours des deux dernières décennies. Certains ont considéré que l'engagement était en contradiction avec le professionnalisme. D'autres l'ont interprété comme un problème à résoudre. D'autres encore ont considéré qu'il était le résultat de frontières floues entre le travail et la vie en général.

Mais j'aime ce mot, et quand j'y pense, j'y pense dans un sens très particulier. Lorsque je pense à l'engagement, je ne l'associe pas au zèle ; je n'évoque pas l'engagement au nom d'une idéologie ou d'un programme politique quelconque ; je ne le relie pas à une vision d'une société utopique, d'un projet totalitaire - autant de choses dont nous devrions, selon moi, nous méfier fortement. Je pense plutôt à un engagement à agir contre les abus de pouvoir ; contre la marginalisation, contre la cruauté, contre l'injustice et contre l'asservissement des savoirs alternatifs. Je pense à un engagement à agir dans un esprit de réciprocité. Je pense à un engagement à l'action qui ne doit pas être justifié par un raisonnement privilégié, mais à un engagement à l'action qui se fonde sur les récits réels que les personnes font de leurs difficultés et de leur détresse.

Et qu'en est-il de la solidarité ? Je pense à une solidarité qui se construit par des thérapeutes qui refusent de faire une distinction nette entre leur vie et celle des autres, qui refusent de marginaliser les personnes qui demandent de l'aide ; par des thérapeutes qui sont prêts à se confronter constamment au fait que, s'ils se trouvaient dans des circonstances telles que celles qui sont à l'origine des problèmes des autres, ils ne s'en sortiraient peut-être pas aussi bien eux-mêmes.

Références

Notes

  1. Récemment, Kate Kowalski et Michael Durrant (1990) et Matthew Selekman (1989, 1991) ont publié des comptes rendus de leurs travaux reflétant l'influence commune de White et de Shazer.
  2. Une thérapie du mérite littéraire a été proposée, qui s'intéresse à l'élaboration et à la mise en oeuvre de ces histoires alternatives. Après que Literate Means to Therapeutic Ends ait été republié par W.W. Norton sous le titre Narrative Means to Therapeutic Ends en 1990, cette thérapie du mérite littéraire, ou thérapie pour redevenir auteur, a été progressivement désignée sous le nom de "thérapie narrative".
  3. La double description est une forme de questionnement qui permet à une famille de voir à la fois l'influence du problème sur sa vie, mais aussi son influence sur le problème. À partir de la deuxième description qui lève une partie des contraintes, la famille développe une nouvelle image d'elle-même et de ses capacités.
  4. Erickson utilisait la technique de la boule de cristal. Il demandait à ses patients de visualiser (halluciner) une boule de cristal et de voir dans cette boule des scènes de sa vie. A notre époque, on peut remplacer la boule de cristal par un écran cinéma ou un écran de télévision.
  5. Le yes set est un outil pour tenter de faire accepter plus facilement les suggestions.
  6. "L'utilisation" consiste à utiliser de manière positive la réponse que vous offre votre client.
  7. Alan Jenkins (1990), qui a adapté l'approche de White dans son travail avec les hommes violents, demandera à ces hommes s'ils étaient "suffisamment hommes" pour prendre position contre la violence. Dans le cadre d'une approche ericksonienne, il utilise le "patriarcat" ou la "machisme". Le fait est que ces idées sont soumises à de multiples niveaux d'analyse. Les thérapeutes créatifs combinent des modèles et enrichissent leur propre travail clinique.
  8. "La seconde cybernétique" centre son attention sur la récursivité. Dans la récursivité, les effets produits sont nécessaires à celui qui les génère, c’est la relation "maître-élève". L’élève produit le maître qui le produit à son tour.
  9. Symptôme médicalement inexpliqué.
  10. Une boucle de rétroaction positive amplifie les écarts avec l'état stable, le système s'auto-alimente continuellement (cercle vertueux ou vicieux, selon que cette amplification est jugée favorable ou non).
  11. Alliance thérapeutique ?
  12. FFST : Formula First-Session Task ou tâche de continuation
  13. Le thérapeute familial serait un observateur-spectateur extérieur à ce qui se produit ; il serait dans un système clivé avec d’un côté le système thérapeutique et de l’autre le système familial ; le thérapeute serait l’unique détenteur du savoir ; sa fonction s’apparenterait alors à celle d’un réparateur ; il chercherait à disséquer, à comprendre, en bref à garder pour lui l’information.
  14. Either/or - Soit/soit : raisonnement dichotomique
  15. L'auteur souhaite remercier ses collègues Insoo Kim Berg, Larry Hopwood et Scott Miller pour leurs contributions à cet article.
  16. À cet égard, je pense qu'ils ont sous-estimé ce que j'ai (nous avons) écrit sur notre "question miracle" et ont donc considéré notre travail comme étant plus " basé sur l'exception " qu'il ne l'est en réalité.
  17. Je suis convaincu qu'il est impossible de lire avec certitude ce que l'auteur a voulu dire. Par conséquent, j'utiliserai le terme "mauvaise lecture" pour suggérer que la (mauvaise) lecture, comme toutes les (mauvaises) lectures, n'est qu'une des nombreuses interprétations possibles de ce qui a été écrit.
  18. Par nécessité, j'ai été obligé de publier dans les revues de thérapie familiale car il n'existe pas encore de revues de thérapie brève équivalentes. Ceci, bien sûr, atténue l'utilité de la distinction entre "thérapie brève" et "thérapie familiale". Le nom original de notre institut, Brief Family Therapy Center, est le résultat d'un consensus entre les thérapeutes en thérapie brève et les thérapeutes familiaux qui composaient le groupe initial. Cela n'a pas permis de maintenir la distinction aussi nette que je l'aurais souhaité.
  19. Steve de Shazer était musicien classique, saxophoniste de jazz et passionné de baseball.
  20. Ces "décisions spontanées" qu'un observateur pourrait considérer comme des illustrations du "respect des règles", d'où notre travail avec les systèmes experts.
  21. Ou, comme alternative, la pratique de White est fortement déconnectée de sa théorie et/ou sa théorie est déconnectée de sa pratique.
  22. Il y a eu une suite de conférences du 27 au 30 juin 1991 à Tulsa en Oklahoma dont le thème portait sur "Ouvrir des possibilités grâce aux conversations thérapeutiques" (Generating Possibilities Through Therapeutic Conversations). L'auteur, Jeff Chang, s'y est d'ailleurs rendu.
  23. Cela signifie bien sûr que nous pouvons nous attendre à la création d'une nouvelle ACOA, "enfant-adulte d'un-e anorexique" (ACOA : Adult Child of an Anorexic) à l'image de l'enfant-adulte d'un-e alcoolique (ACOA : Adult Child of an Alcoholic). Et puis bien sûr, tout traitement non conventionnel qui fonctionne sera écarté parce que le patient n'était pas un "vrai anorexique".
  24. Je ne sais pas quelle était sa réponse à la même demande de comparaison. Je ne baserais pas une comparaison uniquement sur des travaux écrits.
  25. Gaston Bachelard (1957) - La Poétique de l'espace : "C'est ici que doit être sensibilisé le doublet phénoménologique des résonances et du retentissement. Les résonances se dispersent sur les différents plans de notre vie dans le monde, le retentissement nous appelle à un approfondissement de notre propre existence. Dans la résonance, nous entendons le poème, dans le retentissement nous le parlons, il est nôtre. Le retentissement opère un virement d'être. Il semble que l'être du poète soit notre être. La multiplicité des résonances sort alors de l'unité d'être du retentissement. Plus simplement dit, nous touchons là une impression bien connue de tout lecteur passionné de poèmes : le poème nous prend tout entier. Cette saisie de l'être par la poésie a une marque phénoménologique qui ne trompe pas. L'exubérance et la profondeur d'un poème sont toujours des phénomènes du doublet résonance-retentissement. Il semble que par son exubérance, le poème réanime en nous des profondeurs. Pour rendre compte de l'action psychologique d'un poème, il faudra donc suivre deux axes d'analyse phénoménologique, vers les exubérances de l'esprit et vers la profondeur de l'âme."