Fiche de lecture 'Cartes des pratiques narratives' : Différence entre versions

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''Pour conclure, je reprendrai le propos de Michael White dans sa propre conclusion : "l'écriture" de cette fiche de lecture "a constitué un voyage en soi", un voyage qui m'a personnellement emmenée très loin, dans des territoires où j'ai eu l’envie et l’occasion de revenir longuement depuis.''
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''Pour conclure, je reprendrai le propos de Michael White dans sa propre conclusion : "l'écriture" de cette fiche de lecture "a constitué un voyage en soi", un voyage qui m'a personnellement emmené très loin, dans des territoires où j'ai eu l’envie et l’occasion de revenir longuement depuis.''
  
 
''Je voudrais ajouter que les conversations retranscrites dans le livre sont extrêmement percutantes et nécessaires, à mon sens, à la compréhension de cette mise en cartes, un peu "formelle" pour ce genre d’approche.''
 
''Je voudrais ajouter que les conversations retranscrites dans le livre sont extrêmement percutantes et nécessaires, à mon sens, à la compréhension de cette mise en cartes, un peu "formelle" pour ce genre d’approche.''

Version du 5 décembre 2018 à 22:53

Auteur : Michael White

Titre : Maps of narrative practice

Publication : Norton, New York, US - 1ère édition 2007

Traduction : Cartes des pratiques narratives - SATAS, 2009

Sujet : Les cartes des conversations narratives et leurs fondements théoriques

Rédacteur : Catherine Mengelle, catherinemengelle@yahoo.fr, http://www.dclictonavenir.com/

Dates de diffusion : V1 mars 2008 - V2 octobre 2009 - V3 décembre 2013

Sommaire

Introduction

Dans cet ouvrage, l'auteur décrit en détail les six cartes qu'il a élaborées au long de ses 20 ans de pratique thérapeutique et qui servent de guide à ses entretiens en consultation. Ces quelques pages sont très largement insuffisantes pour s'initier à l'approche narrative. Leur objectif est uniquement de donner un bref aperçu du contenu de cet ouvrage majeur pour l'approche narrative.


Comment traduire sans trahir ?

Le texte est aujourd'hui traduit et disponible en Français. Médiat-Coaching, en partenariat avec SATAS, a obtenu l'accord de l'éditeur mondial Norton pour la diffusion du livre en Français.

Je fais néanmoins dans cette fiche de lecture des choix de traduction personnels en m'efforçant en toute humilité d'être fidèle aux intentions de Michael White. À l'époque où j'ai écrit la première version de cette fiche, il existait peu de textes en Français sur l'approche narrative. J'avais emprunté au travail de Jean-François Bourse qui a traduit "Les moyens narratifs au service de la thérapie". N'étant ni "native" ni thérapeute, il m'avait été assez difficile de juger dans le texte ce qui relevait de l'Anglais courant ou professionnel et ce qui pouvait relever d'intentions précises de la part de Michael White. Depuis, les praticiens narratifs français ont beaucoup traduit, mais également écrit. Le vocabulaire de l'approche narrative commence à se mettre en place. Pour autant, certains choix ne sont pas forcément partagés, ce qui permet de poursuivre les efforts de compréhension des réflexions de Michael White et de ses pairs.

Exemple de choix de traduction :

  • "Re-membering" est traduit par "re-membrement" (audit des membres adhérents de son association ou club de vie). Nous perdons l'idée du souvenir mais conservons la notion de membre.
  • "Re-authoring" est traduit ici par "ré-écriture". Ce concept est plus souvent traduit par "redevenir auteur" mais je n'arrive pas à m'y faire, ni à trouver d'expression autour du mot auteur. Il s'agit pourtant bien de cette idée de redevenir l'auteur de ses histoires et thèmes de vie préférés.
  • "Unique outcome" est simplement traduit par "exception". L'idée est juste. Peut- être faudrait-il un terme plus savant.


Au cœur de la pratique narrative, des histoires de vie et de résistance

Les personnes qui consultent un praticien racontent des histoires. Leur histoire dominante est saturée par le problème. Le thérapeute doit, par son questionnement, faire émerger des moments d'exception dans cette histoire, négligés jusque là, qui permettront à la personne de ré-écrire sa vie à la lumière d'histoires alternatives, qu'il l'aidera à enrichir. Il sait que chacun a, plus ou moins réprimées, des capacités de résistance et sa mission est de provoquer en quelque sorte "l'insurrection des savoirs soumis" (Michel Foucault).

Michael White s'appuie sur la pensée de Michel Foucault sur le pouvoir moderne diviseur et normalisateur, qui influence les savoirs, qui eux-mêmes procurent le pouvoir (l'hôpital, l'asile sont des lieux où le savoir devient pouvoir sur les corps). Il préconise de redécouvrir les cultures populaires (notion de psychologie populaire) qui fondent les savoirs non pas sur un pouvoir dominant mais sur la conscience, la souveraineté de l'homme, sa capacité à se projeter et à agir, à se déterminer en fonction de ce qui est juste et faux et non pas en fonction de ce qui est normal ou anormal.


La métaphore du voyage

Les cartes narratives, comme toutes les cartes, servent de guide aux voyages réalisés avec les personnes qui viennent en consultation ; elles permettent de trouver des chemins vers des destinations non prévues au départ, d'avoir conscience de la diversité des routes disponibles, de quitter les routes principales pour s'aventurer sur des chemins préférés.

Elles ne règlementent pas les conversations de Michael White ; elles lui donnent la possibilité d'ouvrir des voies nouvelles qui permettent d'explorer des territoires négligés de la vie des personnes.


La métaphore du texte littéraire

Michael White se réfère aux travaux de Jerome Bruner (1986) dont il reprend l'analyse de la structure dramatique des textes littéraires pour l'appliquer à sa pratique.

Le lecteur s'approprie le texte de l'auteur, il participe avec son imagination et son vécu propre au développement de l'histoire ; un bon auteur ménage des blancs dans son récit, tant dans le déroulement de l'action ("paysage de l'action") que dans la description des émotions ("paysage de la conscience"), blancs que le lecteur doit combler avec ses propres déductions. Ces blancs doivent être suffisamment grands pour susciter la curiosité du lecteur mais pas trop pour ne pas le décourager dans son accès au sens. Un texte littéraire crée les conditions d'accès au sens ("mise en scène") plus qu'il ne l'énonce réellement.

Cette analyse est particulièrement pertinente dans le cas de la pratique thérapeutique où, selon Michael White, la reconstruction de l'identité d'une personne relève principalement de sa ré-écriture de ses récits personnels. Pour combler les fossés laissés par les auteurs dans les récits et enrichir le développement de l'histoire, le lecteur doit :

  • Ouvrir son esprit,
  • Exercer son imagination,
  • Faire appel à son vécu.

De même, le thérapeute attire l'attention sur les fossés dans la vie des gens, les encourage à les combler et propose les échafaudages nécessaires en faisant attention à la hauteur des marches (trop hautes, elles épuiseraient les gens dans leur quête de sens, trop basses, elles ne présenteraient pas assez d'intérêt à leurs yeux). Néanmoins et pour conclure sur cette métaphore, elle trouve sa limite quand l'auteur d'un texte est complètement au centre du développement de l'histoire alors que le thérapeute, lui, est décentré : il n'est pas l'auteur originel de l'histoire développée en consultation.


Six cartes au service des conversations narratives

  • Les conversations externalisantes qui permettent à la personne d'externaliser le problème en l'objectivant.
  • Les conversations de ré-écriture qui permettent de développer des histoires alternatives.
  • Les conversations de re-membrement qui permettent d'auditer les membres de son "club de vie" et l'importance qu'on accorde à chacune des adhésions.
  • Les cérémonies définitionnelles qui permettent l'expression de témoins extérieurs.
  • Les conversations de mise en lumière des exceptions qui permettent de rendre ces moments signifiants.
  • Des échafaudages pour les conversations qui permettent à la personne de franchir les murs entre ce qu'elle connaît et ce qu'il lui est possible de connaître.

Dans le livre, de nombreux extraits de conversations tenues en consultation sont retranscrits par Michael White à titre d'exemples, extraits pour lesquels il propose une analyse par le filtre des cartes. Ce matériel d'une très grande richesse n'est pas repris dans ce résumé car ce serait trop long : je voudrais cependant dire à quel point les exemples de conversations narratives proposés illustrent merveilleusement et avec une redoutable efficacité les idées et les cartes exposées par Michael White.

J'ai dessiné les cartes en indiquant pour chacune des conversations la même progression linéaire (uniquement pour simplifier la réalisation de mes schémas), ce qui n'est jamais le cas : en réalité, les entretiens vont et viennent sur l'ensemble des cartes et rebondissent sans cesse en fonction des réponses des personnes. Il y a toujours plusieurs routes possibles pour une conversation et aucun ordre préalablement fixé.


Les conversations externalisantes

La personne n'est pas le problème

Si je pense que je suis le problème, plus je cherche à le résoudre et plus je l'exacerbe et plus je finis par croire qu'il reflète des aspects de ma nature et de mon caractère ou de ceux des autres.

Michael White se réfère sur ce thème à la pensée de Michel Foucault qui dénonce la culture occidentale de division, de classification, d'objectivation du corps des individus, son contrôle social à travers son jugement normalisant, culture qui a généré le vocabulaire thérapeutique actuel : c'est ainsi qu'on s'accorde à dire qu'une personne est "dérangée" ou qu'elle a un "problème de fonctionnement" ; les gens sont amenés à se considérer, eux ou les autres, "incompétents" ou "inadaptés" par nature.

Les conversations externalisantes grâce auxquelles les problèmes sont objectivés constituent en Occident une pratique diamétralement opposée aux pratiques culturelles d'objectivation des personnes.

Elles leur permettent d'expérimenter une identité séparée du problème ; le problème devient le problème, la personne n'est pas le problème, et des options de résolution deviennent soudain accessibles.

Le thérapeute doit en outre se garder de contribuer à la totalisation des problèmes évoqués en s'efforçant d'en favoriser des descriptions qui ne soient uniquement négatives. Il doit éviter la dualité "soit / soit" de la culture occidentale. Une situation n'a pas que des effets négatifs : par exemple, tel enfant extrêmement inquiet s'avèrera être aussi un enfant intéressé et concerné par le monde qui l'entoure (lien fait entre son inquiétude et son intérêt pour l'information).

Michael White n'est jamais à l'initiative de la totalisation d'un problème.


Une posture de reporter

La posture adoptée dans un premier temps est celle du reporter d'investigation. Le reporter n'est pas politiquement neutre mais son métier exige qu'il ne s'implique pas directement dans la lutte contre les problèmes soulevés par les événements qu'il couvre. De la même façon, le thérapeute n'encouragera pas les efforts pour :

  • résoudre le problème,
  • l'améliorer,
  • ou le combattre.

Au contraire, il s'efforcera d'obtenir un exposé clair sur :

  • la nature du problème,
  • les agissements et les manœuvres du problème,
  • et les raisons qui les expliquent.

Il cherchera ainsi à affaiblir le problème en l'amenant sur un territoire qui n'est plus le sien, comme lorsqu'une équipe sportive joue à l'extérieur.

Dans une deuxième phase, la posture du thérapeute dépendra de la métaphore choisie par la personne pour décrire son problème, l'objectif étant d'en diminuer l'influence : 1-metaphore du probleme.jpg

Enfin, le thérapeute adopte une position décentrée dans la mesure où il n'est pas l'auteur des positions prises par les personnes en rapport avec leurs problèmes, mais néanmoins influente et responsable. Celui qui s'autorise à avoir une expertise sur le problème ferme la porte à toute collaboration : non seulement, il récupère le poids du problème sur ses épaules, mais il prive en même temps l'autre de tout pouvoir d'initiative.


Des métaphores pour raconter sa vie

Michael White donne une liste de vingt huit métaphores susceptibles d'être choisies par une personne en consultation pour qualifier son problème. La métaphore utilisée est importante : elle indique quelle compréhension spécifique la personne a de sa vie et de son identité.

Plusieurs métaphores peuvent être utilisées ; il n'est pas possible de les garder toutes pour la suite de la conversation ; Michael White peut décider lui-même, dans un souci d'éthique et de pertinence, d'en choisir une plutôt qu'une autre. Il se méfie notamment de la métaphore guerrière et de sa terminologie (bataille, défaite, compétition, adversaire, vaincre, etc.).


D'autres conversations externalisantes

Un autre domaine possible pour ces conversations est celui d'une demande pour retrouver et re-développer les forces et les ressources d'une personne.


La carte de "prise de position"

L'entretien comporte quatre catégories principales de questions :

2-quatre categories de questions.jpg

Les questions "Pourquoi" ont mauvaise presse en psychothérapie. Michael White les réhabilite car ses questions "Pourquoi" sont sans jugement moral : elles ne demandent pas "pourquoi faites-vous ça ?" ou "pourquoi donc pensez-vous de la sorte ? Au contraire, elles aident les personnes à réfléchir sur leurs conceptions de vie, leurs aspirations, résolutions, engagements.

Il n'est pas toujours facile, dans notre culture, de répondre à ce type de questions : pour aider les personnes, Michael White peut être amené à reformuler sous la forme d'un "édito" ce qui s'est dit dans les échanges précédents ; il peut aussi choisir d'approfondir les catégories 2 et 3 ou encore de proposer comment d'autres ont répondu à des questions "Pourquoi" similaires. Avec des enfants, il peut lancer un jeu de devinettes et inviter l'entourage à émettre des hypothèses.

La carte de prise de position sur le problème, telle que Michael White la dessine (en réalité la progression de la conversation n'est jamais linéaire comme ici, elle va et vient de haut en bas sur l'échafaudage) :

3-carte de prise de position sur le probleme.jpg

Il n'est pas obligatoire de passer par une conversation externalisante. Si la personne ne fait pas d'amalgame entre son identité propre et celle du problème pour lequel elle consulte, il est possible de démarrer directement sur l'enrichissement des histoires alternatives.


Les conversations de ré-écriture (re-authoring)

Des exceptions aux histoires alternatives

Ces conversations invitent les gens à retrouver et intégrer dans leurs récits de vie des événements et des expériences négligés dans leurs histoires dominantes (saturées par le problème) mais cependant potentiellement signifiants à leurs yeux. Ces exceptions procurent un point d'entrée pour l'écriture d'histoires alternatives.

Le thérapeute en favorise le développement en posant des questions qui engagent à :

  • faire appel à son vécu
  • ouvrir son esprit
  • exercer son imagination
  • utiliser sa faculté à construire du sens

Les personnes, d'abord surprises, sont dans un deuxième temps fascinées par la découverte de ces exceptions qui révèlent, au fur et à mesure que les histoires alternatives s'épaississent, de nouvelles possibilités pour affronter leurs problèmes. Il apparaît également bientôt évident que leur vie est en fait multi-histoires et l'histoire alternative va peu à peu faire de l'ombre à l'histoire dominante.


Une carte en zigzags

Cette carte de conversation permet de se promener dans deux dimensions et de faire des allers-retours, des zigzags, entre :

  • le paysage de l'action et celui de la conscience, ou plutôt de l'identité (terme préféré par Michael White pour éviter une confusion attachée à celui de "consciousness"), de bas en haut et de haut en bas,
  • l'histoire ancienne, l'histoire plus récente, le présent et le futur proche, sur l'échelle du temps.

La carte des conversations de ré-écriture, dessinée par Michael White :

4-carte des conversations de reecriture.jpg

Michael White précise qu'il ne suit pas un questionnaire type ; ses questions ne sont jamais préparées à l'avance. Elles rebondissent sur les réponses des personnes.

Les questions sur le paysage de l'action portent sur les événements, les circonstances, les enchaînements, les lieux, le temps.

Les questions sur le paysage de l'identité invitent les personnes à témoigner sur leurs expériences de vie, à y réfléchir et à verbaliser les résultats de leur réflexion. Elles sont invitées à s'exprimer sur :

  • ce qu'elles pensent de ces expériences
  • ce qu'elles ressentent à leur sujet
  • ce qu'elles apprennent du résultat de leur réflexion
  • ce qu'elles pensent que ces événements prouvent sur leur vie
  • ce qu'elles entrevoient pour le futur

Elles peuvent alors en déduire et comprendre quelles sont leurs véritables aspirations et valeurs et exprimer comment ces aspirations et ces valeurs les touchent. Quelqu'un se montrera par exemple enthousiaste en découvrant l'intention ayant guidé une de ses actions et se passionnera pour les valeurs que cette intention révèle chez elle.


Etat interne ou état intentionnel ?

Michael White oppose :

  • l'état intentionnel de la personne (ses aspirations, intentions, visions, croyances, rêves, valeurs, envies, engagements, quêtes)

à :

  • son état interne (sa personnalité, son inconscient, le fondement de son identité, ses besoins, ses pulsions, ses dispositions, ses forces, ses instincts, etc.)

Pour différentes raisons (avènement de l'Inconscient au début du 20ème siècle, développement progressif depuis le 17ème siècle d'un nouveau système de contrôle social où le jugement normalisateur a remplacé le jugement moral), les domaines de la psychologie, du développement personnel et du traitement des problèmes de vie se sont développés autour de cette idée que la vie dépend soit de ces éléments de personnalité inconscients, soit de leur dysfonctionnement.

Au contraire, la notion d'état intentionnel prend en compte la capacité des personnes à agir, à prendre des décisions pour leur vie, y compris en collaborant avec les autres, et les replace à l'origine de la plupart des évolutions de leur vie. Bruner utilise l'expression de "psychologie populaire" pour décrire un système psychologique vieux de plusieurs siècles qui accorde de l'importance aux intentions et aux projets, aux valeurs, croyances et engagements, et qui reconnaît la capacité qu'a chacun de faire preuve d'initiative personnelle. C'est à travers ce prisme que chacun, dans sa vie de tous les jours, donne du sens à ses actions et à celles des autres, et plus généralement interprète le monde. Cette psychologie populaire a été peu à peu évincée au profit des psychologies de l'inconscient.

Michael White n'écarte pas complètement les interprétations proposées par l'analyse de l'état interne de la personne mais il dit qu'elles ne sont pas aptes à produire le terreau favorable à l'enrichissement des histoires ; en effet, elles :

  • éliminent l'impression de pouvoir agir (le sentiment d'initiative personnelle)
  • isolent (c'est moi qui fait mon histoire : il manque le lien avec les histoires des autres autour de valeurs partagées)
  • découragent la diversité car elles sont construites à partir de normes généralement admises valorisant une représentation idéale et moderne du "moi" (confiance en soi, maîtrise de soi, réalisation personnelle).


Dans les classeurs de l'esprit, des pièces d'identité

Il peut être utile d'imaginer le paysage de l'identité comme un ensemble de classeurs, chacun accueillant un élément de l'identité. Les personnes rangent dans ces classeurs leurs conclusions sur leur propre identité et sur celle des autres. Ce sont ces conclusions qui déterminent la signification qu'elles donnent aux expériences de vie, approfondie par une réflexion sur et autour de ces événements, et qui influencent leurs actions.

Ce ne sont pas les "choses" comme les besoins ou les motivations qui façonnent la vie mais les résultats des réflexions que l'on a sur ces choses.

Les conversations de ré-écriture créent les conditions pour que la personne parvienne à des conclusions sur son identité qui contredisent celles associées à l'histoire dominante. Lorsque ces nouvelles conclusions pénètrent dans ses classeurs de l'esprit, elles en chassent les anciennes et les privent de l'influence qu'elles avaient sur son existence.


Les conversations de re-membrement

Une vie comme un club composé de membres actifs ou moins actifs

Ces conversations (qui trouvent leur inspiration dans les travaux de Barbara Myerhoff, 1982, 1986) se fondent sur l'image que chaque vie est une association (ou un club) composée de membres adhérents, contrairement à une société individuelle. Les membres d'un club de vie sont les personnages marquants du passé, du présent et du futur projeté de la personne, dont les voix ont une influence sur sa construction identitaire en lui permettant de sortir de son isolement et d'entendre des points de vue différents sur son identité.

Lors de ces conversations, on donne à la personne l'opportunité d'auditer les adhésions des membres de son club : elle peut décider d'en honorer certains au détriment d'autres, de faire monter certains en grade ou le contraire, d'accorder plus ou moins d'importance à leurs avis concernant son identité. Les membres du club ne sont pas forcément des personnes réelles : peuvent aussi candidater doudous, auteurs de livres préférés, acteurs ou personnages de BD, animaux favoris, etc.

L'élaboration de cette carte est également issue du travail de Michael White auprès de personnes ayant subi un deuil douloureux. En 1988, il a publié un article dont le titre était : "Dire de nouveau bonjour : l'intégration de la relation perdue dans la résolution de la douleur." La plupart des personnes qui lui étaient envoyées étaient dans un état qu'il est convenu d'appeler "deuil à retardement" ou "deuil pathologique". Elles avaient toutes déjà reçu de longs traitements intensifs basés sur les idées normatives du traitement de la douleur et sur la métaphore de l'"au revoir" (dont l'objectif est de leur faire accepter la perte de l'être cher et de les engager à un nouveau départ sans lui). Son impression était qu'elles avaient déjà beaucoup trop perdu : plus qu'un être cher, elles avaient perdu une partie d'elles-mêmes. Toute tentative d'accompagnement associée au modèle normatif du deuil ne ferait qu'exacerber leur impression de vide et de désespoir. Mieux valait intégrer l'être cher disparu dans le processus d'accompagnement et amener la personne endeuillée à réfléchir sur ses contributions dans la vie du disparu et l'influence qu'elles avaient eue sur sa vie et son identité.


Une carte en deux temps

Ces conversations autour d'un personnage signifiant sont souvent élaborées à travers deux jeux de questions.

Le premier jeu invite la personne à :

  • raconter comment le personnage a contribué à sa vie "Elle m'a recueillie, sauvée et m'a appris à coudre et tricoter"
  • décrire comment ce personnage la voit, comment cette relation l'a ou peut l'aider à comprendre qui elle est ou à quoi rime sa vie. "Oui... je méritais peut-être d'être aidée"

Le deuxième jeu de questions l'invite à :

  • raconter comment elle a contribué à la vie du personnage "J'ai accepté ses invitations et ai été attentive à ses centres d'intérêt"
  • décrire comment cette relation a ou peut aider ce personnage à comprendre qui il est ou à quoi rime sa vie, quelles sont les implications de cette contribution sur l'identité du personnage. "J'ai accordé du prix à ses compétences et contribué à renforcer ses valeurs."

Michael White relate une consultation où Thomas ne parvenait pas (trop de douleur, trop de refoulement, depuis trop longtemps) à répondre aux questions relatives à un personnage important de sa vie mais décédé. Dans ce cas, il peut faire appel à des personnes ayant vécu des situations similaires pour répondre, devant Thomas mais sur leur propre histoire, aux questions de cette carte.

La carte des conversations de re-membrement, telle que Michael White la dessine :

5-carte des conversations de remembrement.jpg


Les cérémonies définitionnelles

Deux principes pour un processus maîtrisé : résonance et reconnaissance

Elles constituent un contexte favorable à l'enrichissement des histoires. Loin de certains rituels sociaux dégradants pour la vie des gens, elles donnent aux personnes la possibilité de raconter leurs histoires devant un public choisi, à qui on demande ensuite de faire une "re-narration" selon un processus puissant en terme de résonance et de reconnaissance : il n'est question ici ni d'applaudir (approuver, souligner les points positifs, féliciter, etc.) ni d'évaluer. Le témoin extérieur n'émet pas d'opinion, ne donne pas d'avis, ne fait pas de déclaration, ne moralise pas, n'exprime pas d'inquiétude, ne cherche pas à aider, n'impose pas ses histoires alternatives. Au contraire, il explique ce qui a attiré son attention dans l'histoire, décrit les images qu'elle a évoquées chez lui, les expériences personnelles qu'elle fait résonner et comment sa vie est touchée par ce qui a été dit.

L'origine de ce processus (et son appellation) se trouve dans les travaux (dans les années 1980) de l'anthropologue culturelle Barbara Myerhoff sur la communauté juive de personnes âgées installée à Venice, Los Angeles. Ces travaux ont résonné avec les découvertes que faisait l'équipe du Dulwich Center sur l'influence bénéfique d'un public sur l'enrichissement des histoires, notamment en observant les réactions des enfants à qui étaient remis des certificats de "réussite à résister au problème" et qui les montraient fièrement autour d'eux.

Elle s'inspire également de la métaphore narrative et du fait que les récits personnels sont en réalité co-écrits avec les personnes importantes de l'entourage.

Enfin, il est apparu important à Michael White de ne pas laisser la personne seule face à des récits personnels s'opposant, comme c'est souvent le cas, aux normes et institutions sociales et culturelles et induisant des actions défiant ces pouvoirs. Les témoins peuvent se montrer solidaires des valeurs et aspirations décrites dans ces histoires.


Où recruter les témoins extérieurs ?

Au départ, ils n'étaient que rarement impliqués physiquement dans la consultation. Les personnes étaient encouragées à identifier ceux qui pouvaient les aider à développer leur histoire préférée, souvent par écrit (lettres, certificats ... Cf. "Les moyens narratifs au service de la thérapie").

Puis, le témoin fut invité en séance, alors choisi parmi les membres de la famille, les amis, les camarades d'école ou les collègues de travail, plus tard parmi les voisins, les commerçants du quartier, et carrément dans des communautés de personnes inconnues de la personne venue en consultation, des professionnels par exemple. Finalement, il est aussi fait appel aux "anciens" du Dulwich Center, déjà venus en consultation, qui répondent invariablement avec enthousiasme.

Dans le cas de témoins d'une même famille où les relations sont tendues, Michael White fait un travail préalable de repositionnement de chaque participant dans un personnage, ce qui leur permet de changer la manière dont ils s'adressent habituellement à la personne.


Une cérémonie en trois temps

Ces cérémonies sont constituées de trois étapes distinctes :

  • Le récit par la personne de son histoire de vie, pendant que les témoins écoutent attentivement.
  • Un temps de re-narration par les témoins extérieurs, pendant que la personne écoute.
  • Un temps de re-narration des re-narrations par la personne au centre de la cérémonie.

Lors des changements de rôles (public ou interviewé), les participants changent aussi de place. Le public est un peu à l'écart du groupe interviewé. Un participant est soit dans le public et n'intervient alors pas dans la conversation, soit interviewé par le thérapeute.


Le temps de la re-narration par les témoins extérieurs

Quand vient le moment, les participants changent de place. Devant la personne qui maintenant écoute, le thérapeute interroge les témoins sur ce qui a attiré leur attention dans le récit en leur donnant la possibilité de dépasser les frontières du récit, ce qui contribue à enrichir la description des relations et des identités de la personne mais aussi à relier cette histoire à des thèmes partagés. Une des clés du processus est la familiarité des témoins avec la tradition du signe de reconnaissance. Il s'agit de générer de la résonance plus que de l'empathie ou de la sympathie.

Le thérapeute ne doit pas se contenter d'animer une conversation de l'ordre de celles qu'on tient dans la vie de tous les jours où il est acceptable de donner des avis, de féliciter, approuver et porter des jugements. Le contexte ici est différent de la vraie vie et la personne pourrait penser qu'on se moque d'elle, qu'on n'est pas sincère, qu'on ne la comprend pas, qu'on la prend à la légère ou pour un enfant. Le thérapeute est gardien du processus et éthiquement responsable par la structure de son "enquête" de donner à la personne la possibilité d'enrichir son histoire en lui procurant l'occasion d'entendre autre chose que des lieux communs ou les évidences habituelles.

Avant la cérémonie, Michael White prend les témoins à part et leur indique ce qu'il attend d'eux :

  • Jouer un rôle dans la tradition du phénomène de reconnaissance,
  • Faire des re-narrations à partir d'une écoute attentive et des aspects particuliers de l'histoire qui ont attiré leur attention,
  • S'exprimer sans imposer,
  • S'exprimer personnellement, indiquer les raisons pour lesquelles ils ont été attirés par ce qui les a attirés et comment cela les affecte,
  • Sortir des chemins battus des réponses habituellement faites aux histoires des autres et éviter opinions, avis, jugements et théorisation.

Il les prévient aussi qu'il se permettra d'intervenir chaque fois qu'il estimera de sa responsabilité éthique de le faire, dès que l'expression prend un tour qui ne convient plus, leur procurant ainsi une protection sur le déroulement du processus. Enfin, il les briefe sur la structure de l'interview en quatre points, sur lesquels il leur demande de focaliser leur attention pendant le récit.


Une carte pour un voyage en quatre étapes

Michael White a élaboré quatre catégories de questions structurant la re-narration du témoin extérieur :

1. Ce que vous avez retenu du récit, qui a capté votre attention (éléments d'expression spécifiques)

  • Qu'a-t-elle dit ou quelle émotion a-t-elle ressentie qui vous montre à quoi elle accorde de l'importance dans sa vie ? Vous lui prouvez en lui parlant de ce qui vous a marqué dans son récit qu'elle est unique et digne d'intérêt pour elle- même. Le fait de vous concentrer sur ses propres mots vous incite à être précis.

2. Les images qui vous sont venues à l'esprit en l'écoutant (images et spéculations sur son paysage intentionnel)

  • Ce sont peut-être des métaphores sur sa vie ou des images mentales de son identité ou de ses relations ou une intuition qui vous vient sur sa vie. Indiquez comment ces métaphores ou images mentales pourraient, à votre avis, refléter ses intentions, ce à quoi elle accorde de la valeur, ce qu'elle veut pour sa vie ?

3. Comment cela fait résonance chez vous(résonance)

  • Pourquoi votre attention a-t-elle été attirée par ces éléments précis ? Comment résonnent-ils dans votre propre histoire personnelle ? En répondant à cette question, vous aurez toutes les chances de prouver votre intérêt d'une façon personnelle, engagée et vivante, et non pas académique et distante comme un professionnel du fauteuil. Ce qui sera très pertinent alors sera de parler de vos propres expériences, ravivées par le récit entendu.

4. Comment le fait d'être témoin de cette histoire vous fait avancer (transport)

  • Il n'est pas possible d'assister à une de ces cérémonies sans être touché d'une façon ou d'une autre. Où dans vos pensées, vos réflexions sur votre propre existence, cette expérience vous a-t-elle transporté ? En quoi a-t-elle éveillé des perspectives nouvelles pour vos propres difficultés ? Vous montrez ainsi que votre témoignage vous a fait devenir une nouvelle personne.

La carte des re-narrations par les témoins extérieurs telle que Michael White la dessine (il y a très peu de chance que la conversation soit linéaire comme sur ce schéma) :

6-carte des renarrations par les temoins exterieurs.jpg

Tout au long de la conversation, Michael White prend en compte et s'adapte aux styles d'expression, à l'âge, aux stades de développement personnel et aux environnements culturels des témoins.

Il s'est inspiré ici de l'œuvre du philosophe Gaston Bachelard (cf. "La Poétique de l'Espace", 1957) pour son travail sur l'image, la réverbération et la résonance, et également du concept de Catharsis dans sa définition classique (selon Aristote - et pour faire simple ! - c'est la purgation des passions par le moyen de la représentation dramatique). Selon la compréhension qu'il en a, une expérience est cathartique si nous sommes touchés par elle, touchés pas seulement sur le plan des émotions, mais touchés comme transportés dans un ailleurs, d'où il devient possible de repartir différent.


Le temps de la re-narration des re-narrations par la personne

Les participants changent à nouveau de place et la personne au centre de la cérémonie est maintenant interrogée par le thérapeute sur ce qu'elle a entendu. Cette interview est conduite à partir des quatre mêmes catégories de questions (expression, image, résonance et transport), sauf que cette fois, et c'est très important, la deuxième catégorie concerne les images sur la vie et l'identité de la personne (pas des témoins extérieurs).


Des développements possibles

Ces trois phases (récit, re-narrations du récit, re-narration des re-narrations) ne sont pas figées. On peut décider de revenir sur les positions précédentes si nécessaire et si on dispose du temps pour le faire. On peut même envisager une quatrième phase où toutes les parties se retrouvent pour échanger sur ce qu'elles ont appris lors de cet exercice.

S'il n'est pas toujours possible ou souhaitable (respect de l'anonymat) que les témoins soient présents physiquement, les moyens technologiques (conférences téléphoniques, enregistrements, etc.) peuvent alors être mis à contribution.

Michael White propose parfois (essentiellement dans le cas de personnes ayant subi un trauma) de prolonger la cérémonie par un processus complémentaire qu'il appelle : Célébration Prolongée de la Catharsis. Il s'agit de conforter l'effet bénéfique d'une catharsis en suggérant au témoin d'envoyer à la personne une lettre ou un enregistrement relatant un événement marquant qui lui est arrivé après la cérémonie ou de faire tout autre geste auprès d'elle qui pourrait renforcer son impression qu'elle est importante pour quelqu'un.


Le thérapeute est le maître de cérémonie

Au-delà du choix des témoins, il assume l'entière responsabilité du processus. Il veille à ramener le témoin au contenu du récit de la personne quand celui-ci :

  • démarre sa re-narration par des superlatifs élogieux sur la personne,
  • s'identifie au problème de la personne et s'engage dans un récit autobiographique qui pourrait être reçu comme une leçon de morale,
  • exprime que la personne s'en sort bien mieux que lui, en fait une sorte de héros, ce qui l'isole et lui donne le sentiment de ne pas avoir été comprise.

Parfois, le témoin va également relever dans le récit non pas des éléments positifs mais des expressions d'angoisse, de frustration, de souffrance. Le thérapeute doit alors faire émerger tout ce qui est implicite dans ces angoisses : les valeurs, les espoirs, les rêves (cf. les travaux de Derrida sur la déconstruction des textes et la binarité des concepts ; le concept contient implicitement son concept opposé : réalité / apparence, masculin / féminin, etc.).

Il peut encore être tenté d'abandonner la maîtrise du processus dans le cas où le témoin est un professionnel familier avec la méthode ou qu'il a une connaissance significative du problème apporté par la personne (c'est une chose d'avoir des connaissances, c'en est une autre de savoir comment s'exprimer pour contribuer à enrichir une histoire).

Concernant le contenu des conversations, le thérapeute aura vérifié auparavant qu'il n'y a pas de sujets que la personne ne souhaite pas aborder. Les informations qu'ont les témoins extérieurs sur sa vie ne peuvent provenir que du récit qu'elle-même fait lors de la cérémonie. Il doit enfin lui expliquer l'ensemble du processus avant de l'y engager et bien sûr en garantir la confidentialité.


Les conversations de mise en lumière des exceptions

Il y a toujours des exceptions dans des histoires dominantes

Exception : traduction de l'expression empruntée par Michael White à Erving Goffman dans son ouvrage "Asiles, p 127 : unique outcomes" (1061).

Bien que chaque vie soit très riche en expériences diverses, nous sélectionnons énormément et ne retenons que celles qui entrent dans nos thématiques les plus familières. La plupart de nos expériences de vie étant décalées par rapport à nos histoires dominantes, elles ne sont pas enregistrées et nous ne leur accordons pas plus de sens. Pourtant, elles pourraient être signifiantes et constituer des "exceptions", points d'entrée pour développer des histoires alternatives.

C'est le rôle du thérapeute d'aider les gens à redonner vie à certains de ces moments négligés, voire perdus, et à les rendre signifiants. Cependant, ce n'est pas son rôle de décréter lequel de ces moments est intéressant à retenir ni de lui attribuer du sens. En posture décentrée, il privilégie l'écriture des histoires par les personnes.

Réfléchir sur ces exceptions est une expérience nouvelle pour les gens car jusque là, ils ont en général accepté les explications et les positions prises par d'autres qu'eux. À travers ces conversations, ils réalisent enfin ce qu'ils veulent pour leur propre vie et ce qui est important pour eux. Il y a cependant un fossé important entre la mise en lumière d'une exception et la compréhension de ce qu'elle reflète en termes d'intentions et de valeurs : le thérapeute est là pour aider à franchir ce fossé.


La carte de "prise de position", version 2

Michael White utilise le même déroulement d'entretien que pour les conversations externalisantes du chapitre 1 mais au lieu de se focaliser sur les problèmes, il se focalise sur les exceptions apparaissant dans l'histoire dominante.

7-exceptions apparaissant dans l histoire dominante.jpg

Ce travail d'enquête constitue une base pour les conversations de ré-écriture du chapitre 2. L'exception retenue peut être dénichée dans le passé de la personne, mais aussi parfois dans l'"ici et maintenant" de la consultation.

Avant de se lancer dans les questions de la catégorie 3, Michael White trouve souvent nécessaire de résumer dans un "édito" les principaux effets de l'exception pour fournir à la personne une surface sur laquelle elle peut rebondir lors des questions de la catégorie 3. C'est également le cas entre les catégories 3 et 4. D'autre part, les remarques faites au chapitre 1 sur la difficulté qu'ont les gens à répondre à des questions "Pourquoi" sont reprises dans ce chapitre par Michael White.

La carte de prise de position sur une exception, telle que Michael White la dessine (comme précédemment, la progression de la conversation n'est jamais linéaire comme ici, elle va et vient de haut en bas sur l'échafaudage) :

8-carte de prise de position sur une exception.jpg


Des exceptions à l'enrichissement des histoires

Le chemin qu'on peut parcourir entre l'identification d'une exception et l'arrivée dans de nouveaux territoires de vie et d'identité est souvent remarquable. Il est complètement impossible d'en prévoir la destination à l'avance. La seule chose prévisible est que le résultat défiera invariablement toute prévision.

C'est également le moment de préciser que les frontières entre les cartes de la pratique narrative ne sont pas aussi définies que dans ce livre où elles sont présentées comme entités distinctes pour des besoins pédagogiques. En pratique, les contours en sont plus flous. Ce sont les opportunités présentes dans les réponses des personnes qui guident l'intervention du thérapeute. Dans un même entretien, s'il rebondit sur ce qu'apporte la personne dans la conversation, il peut être amené à utiliser tour à tour les pratiques de ré-écriture, de re-membrement et celles des cérémonies définitionnelles par exemple.

Dans tous les cas, toutes ces cartes ont été dressées à partir d'une carte maîtresse, qui sert de support, de structure à toutes les autres : la carte de l'échafaudage.

Des échafaudages pour soutenir les conversations

Dysfonctionnement interne ou agissements limitants du "pouvoir moderne" ?

Les personnes qui viennent en consultation ont déjà engagé tous les moyens familiers connus d'elles pour lutter contre leurs difficultés. Leur frustration est exacerbée par leur croyance que tous les efforts qu'elles ont fournis n'ont fait jusque là que générer de nouvelles complications. Elles se reprochent de manquer de sagesse et de prévoyance, ne parviennent pas à comprendre pourquoi leurs initiatives échouent alors que ce devrait être si simple, puisque c'est simple pour les autres. Consulter un thérapeute est une preuve supplémentaire de leur incompétence et incapacité à s'en sortir seules.

Alors, est-ce si facile que ça d'être responsable de sa vie ?

La réponse classique des professionnels est que celui qui n'y parvient pas souffre d'un dysfonctionnement : il n'est pas capable de réflexion et de pensée abstraite ; il ne perçoit pas les conséquences de ses actes ; il est dépendant des autres pour la résolution de ses problèmes et ne peut pas décider pour lui-même. Ils ajoutent que les racines de ce dysfonctionnement sont souvent psychopathologiques.

Mais ce n'est pas si simple : ces idées de dysfonctionnement et de psychopathologie cachent la complexité des difficultés rencontrées par les individus face à l'action. Le champ de l'action et de la prise de responsabilité est en réalité limité par les "relations de pouvoir traditionnelles" institutionnalisées dans la culture locale (inégalités imposées par la couleur, le sexe, l'hétéro sexisme, la culture, l'ethnie, etc.). Quand c'est le cas, il est important de donner aux gens la chance de comprendre le lien entre leurs expériences négatives et les conclusions négatives qu'ils en tirent et les agissements du pouvoir moderne et de son jugement normalisant, d'autant plus que dans ce contexte de relations de pouvoir traditionnelles, les actions jugées comme le fruit d'une réflexion personnelle sont en fait fondées sur l'accès aux privilèges et la recherche d'harmonie avec les normes. Echouer à reproduire ces normes traduit autant d"échecs personnels" à ses propres yeux et à ceux des autres. Michael White a déjà évoqué l'importance accordée par la culture occidentale contemporaine aux valeurs de maîtrise de soi, confiance en soi, auto-motivation, et auto-évaluation, normes qu'en dépit de leurs efforts la plupart des gens ont des difficultés à reproduire ; ils en arrivent alors à des conclusions d'incompétence et d'inadaptabilité.


Pour passer de l'autre côté

Michael White propose une perspective alternative.

L'action et la prise de responsabilité dépendent d'une forme spécifique de "collaboration sociale" qui aide les personnes à franchir le fossé qui sépare ce qu'elles connaissent déjà de leur vie et de leur identité, de ce qu'il est encore possible d'en connaître. Au lieu de reproduire sans succès ce qui leur est familier, elles seront assistées pour traverser une "zone proximale de développement" (ZPD). Cette zone ne peut être franchie par la personne que si le thérapeute lui fournit un "échafaudage" praticable lui permettant de s'éloigner, palier par palier, du connu et du familier pour s'élever progressivement vers ce qu'il lui serait possible de savoir et de faire. Elle pourra alors retrouver le sentiment et la capacité de diriger le cours de sa vie en fonction de ses savoirs et talents propres et de ses intentions.

Les expressions (ainsi que les développements associés) "zone proximale de développement", "collaboration sociale" et "échafaudage" sont empruntées aux travaux du psychologue russe Lev Vygotsky qui a notamment étudié dans les années 1920 les liens entre développement et apprentissage chez les jeunes enfants. Il a proposé qu'apprendre ne soit pas le résultat d'un effort indépendant ou d'un programme biogénétique prédéfini mais plutôt le fruit d'une collaboration avec d'autres ; c'est cette collaboration qui permet d'accéder à une pensée complexe et abstraite, fondement du développement conceptuel nécessaire à la prise d'autonomie.

C'est en travaillant sur la signification des mots et leur abstraction, en collaboration avec d'autres, qu'on finit par parvenir à l'autonomie et la responsabilité.


Une carte de l'échafaudage en cinq étages

Influencé par les idées de Vygotsky, Michael White a élaboré une carte de conversation sous la forme d'une échelle verticale graduée du "connu et familier" jusqu'au "possible de connaître" ; entre ces deux niveaux, cinq étages de questions permettent à la personne de s'élever petit à petit sur l'échafaudage, et l'encouragent à :

  • Au niveau bas : attribuer du sens aux événements exceptionnels de sa vie ou à ceux qui se sont passés sans qu'elle y prête attention.
  • Au niveau moyen : mettre en relation des événements spécifiques de sa vie pour parvenir à développer des chaînes d'association et faire des liens entre ces expériences de vie.
  • Au niveau haut inférieur : réfléchir sur ces chaînes d'association et en déduire des réalisations et des apprentissages possibles.
  • Au niveau haut supérieur : formuler des concepts sur la vie et l'identité en abstrayant ces réalisations et apprentissages de leurs circonstances concrètes et spécifiques.
  • Au niveau supérieur : développer des propositions pour avancer dans la vie en harmonie avec les concepts nouvellement énoncés, formuler des prédictions sur les résultats des actions proposées et planifier et initier ces actions.

La carte de l'échafaudage (et exemple de progression fictif sur l'échafaudage) :

9-carte d echafaudage.jpg

Cette carte est sa carte maîtresse, le modèle général de progression sur lequel il construit chacun de ses entretiens. Par exemple, dans une conversation de mise en lumière d'une exception,

  • le niveau bas reviendrait à se mettre d'accord sur une description personnelle de l'exception et proche du vécu de la personne,
  • le niveau moyen reviendrait à dresser la carte des effets de l'exception,
  • le niveau haut inférieur reviendrait à évaluer et exprimer ce qu'elle pense de cette exception et de ses effets ou effets potentiels,
  • et le niveau haut supérieur reviendrait à justifier ce qu'elle en pense.


Le thérapeute est responsable de son échafaudage

C'est le rôle du thérapeute d'échafauder la ZPD et d'accompagner la personne sur l'échafaudage. Si sur un étage, la personne répond "je ne sais pas", il est responsable de ce qui suit : il peut décider de monter plus haut ; il peut aussi travailler sur la dimension horizontale et inviter l'entourage à donner son avis ou indiquer comment d'autres ont déjà répondu.

Il a aussi la responsabilité d'éviter de conclure qu'une personne "manque de motivation", "est complètement irresponsable", "résiste", "est incapable de prévoir les conséquences de ses actes", "est incapable de réfléchir sur son comportement", "est incapable d'abstraction". En fait, ces conclusions doivent servir d'alarme. Elles indiquent à quel point la personne est embourbée dans le connu et le familier et ne profite pas de la collaboration censée l'aider à explorer sa ZPD, soit que le thérapeute ne met pas tout son talent dans la construction de l'échafaudage, soit qu'il atteint ses limites dans certains cas. Michael White préconise alors une pause pour explorer de nouvelles façons d'étendre ces limites.


Conclusion

Pour conclure, je reprendrai le propos de Michael White dans sa propre conclusion : "l'écriture" de cette fiche de lecture "a constitué un voyage en soi", un voyage qui m'a personnellement emmené très loin, dans des territoires où j'ai eu l’envie et l’occasion de revenir longuement depuis.

Je voudrais ajouter que les conversations retranscrites dans le livre sont extrêmement percutantes et nécessaires, à mon sens, à la compréhension de cette mise en cartes, un peu "formelle" pour ce genre d’approche.


Catherine Mengelle.