8 pratiques très efficaces des problèmes, Foucault et une expérience personnelle

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Traduction de Fabrice Aimetti avec l'aimable autorisation de Stephen Madigan, le 15 avril 2020.

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Cet article est paru dans la lettre d'information narrative d'avril 2020 sous le titre "8 Habits of Highly Effective Problems, Foucault and - a personal reckoning."

L'étendue de ce que nous pensons et faisons est limitée par ce que nous ne remarquons pas. Et parce que nous ne remarquons pas que nous ne remarquons pas, nous ne pouvons pas faire grand chose pour changer jusqu'à ce que l'on remarque comment ne pas remarquer modèle nos pensées et nos actes. - Ronald David Laing


Town built on top of a head, by Jacek Yerka
Town built on top of a head, by Jacek Yerka

Un bon ami à moi m'a raconté une histoire amusante cette semaine, qui est très drôle. Mon ami vit en relation avec diverses valeurs que j'admire, comme la compassion, l'équité, l'humour, l'humilité, pour n'en citer que quelques-unes. Et depuis plus d'une dizaine d'années, il oeuvre en tant qu'acteur clé (certains pourraient dire l'un des rares acteurs clés) dans les zones les plus défavorisées du Canada avec des personnes qui, pour de nombreuses et complexes raisons, se retrouvent sans abri.

Il y a quelque temps, il passait tout son temps à trouver des moyens de gérer le scénario catastrophe de la drogue contaminée par les opioïdes. C'est là qu'il a vécu la mort de centaines de personnes, dont quelques bons amis. Il y est resté plus longtemps qu'il n'aurait dû peut-être, et il a fini par "basculer".

Ne pouvant plus aller travailler, il a ensuite demandé une indemnisation sur le lieu de travail, ce qui l'a obligé à se soumettre à des procédures d'"évaluation" et à de longues discussions avec un certain nombre de psychologues. La semaine dernière, il a eu un dernier rendez-vous de suivi avec un nouveau psychologue. Et pendant cette période de confinement du COVID-19, il a supposé qu'il s'agirait d'une conversation en distanciel. Mais au lieu de cela, le psychologue lui a demandé de se rendre à son bureau. À son arrivée, mon ami a eu l'impression que le psychologue ne prenait pas forcément le coronavirus aussi au sérieux qu'il le pourrait.

Quoi qu'il en soit, après avoir passé un "test" composé de 350 questions, le psychologue l'a interrogé en utilisant le cadre standard des entretiens en cas de trouble de stress post-traumatique. Il n'a pas fallu longtemps à mon ami pour réaliser que le psychologue qui l'interrogeait n'incluait pas le contexte actuel du virus COVID-19. Voici une version fictive de l'entretien d'après ce que je me souviens de ce qu'il m'a dit :

Psychologue : Êtes-vous sorti de la maison au cours des trois dernières semaines.
Ami : Euh, non, je n'ai pas vraiment quitté la maison sauf pour faire des courses.
P : Et avez-vous parlé avec quelqu'un pendant que vous faisiez vos courses ?
A : Pas vraiment.
P : Avez-vous eu envie de rendre visite à vos amis ?
A : Depuis quand ?
P : Au cours du dernier mois, avez-vous eu envie de rendre visite à vos amis ?
A : Pour être franc, je n'ai pas vraiment pensé à rendre visite à des amis.
P : Des amis ont-ils voulu venir vous rendre visite au cours des trois dernières semaines ?
A : Pas que je sache.
P : Etes-vous triste qu'aucun de vos amis ne soit venu vous rendre visite ?
F : Triste ? Certainement pas.
P : Pensez-vous que vos amis ont l'impression que vous ne voulez pas qu'ils vous rendent visite ?
F : Oui, c'est exact.
P : Y a-t-il eu une époque où vous aviez plus de relations sociales qu'aujourd'hui ?
F : Absolument !
P : Avez-vous remarqué des tendances compulsives ?
F : Comme quoi ?
P : Comme un besoin particulier de symétrie et d'ordre, ou une peur des microbes, ou le fait de se laver les mains souvent. Ce genre de choses.
F : Oui, j'ai remarqué que je me lavais beaucoup plus les mains.

Et l'entretien s'est poursuivi. Ce qui est assez drôle, c'est qu'à la fin de la conversation, il s'est avéré que le psychologue ne pensait plus que mon ami souffrait de ce qui avait été décrit comme un trouble de stress post-traumatique.

Brouhaha incessant (chitter-chatter) : les 8 pratiques conversationnelles très efficaces des problèmes

Cette période de confinement et de distanciation sociale a donné à beaucoup d'entre nous le temps de réfléchir et de revisiter des projets pour lesquels à l'époque nous ne pouvions que regretter ne pas avoir de temps à consacrer. Je me suis amusé avec une tonne d'activités différentes, comme par exemple prendre le temps dans la journée de revenir sur quelques idées narratives, écrire un peu et pousser plus loin mes idées. Ce que vous allez lire ci-dessous est un peu brut et mal préparé et ressemble plus à de l'improvisation qu'à de la composition. Donc, je vous invite à lire cela à vos propres risques et périls.

Mon intention première pour cette lettre d'information était de m'amuser et de trouver un moyen de prolonger mes découvertes des écrits de Michel Foucault sur le pouvoir/la connaissance, la subjectivation, les discours culturels internalisés et l'autosurveillance/ses supporters, sous la forme d'opinions et d'interprétations plus concrètes pour la pratique quotidienne de la thérapie narrative. La question sur laquelle j'aimerais me concentrer est la suivante : comment les conversations culturelles internalisées finissent par soutenir les pratiques particulièrement efficaces des problèmes.

Un peu de contexte : ma fascination pour le fonctionnement propre aux pratiques conversationnelles internalisées des problèmes a commencé à la fin des années 1990 avec les femmes avec lesquelles je travaillais dans le centre psychiatrique d'un hôpital pour adultes souffrant de troubles alimentaires. Situer la "voix" du problème a toujours fait partie de mon travail ; cependant, le contexte Anti-anorexie a donné une couleur très vive à la pratique.

À un certain moment de ce travail, j'ai commencé à me rendre compte que les femmes du centre utilisaient des descriptions appartenant à un langage habituel, internalisé et punitif de l'anorexie et de la boulimie qui semblait presque identique à ce que les femmes décrivaient dans d'autres endroits du monde. Il semblait y avoir un "langage international", internalisé et commun de l'anorexie.

La question était la suivante : comment était-il possible que des femmes d'Iran, d'Inde, de Chine, de Croatie et du Canada, des femmes de différentes cultures, classes, valeurs, croyances religieuses et droits, puissent partager une connaissance semblable et approfondie du langage mortellement internalisé de l'anorexie ? L'anorexie n'était-elle pas un phénomène occidental ?

Il n'a pas fallu longtemps pour arriver à une conclusion effrayante : le langage, la pratique, les règles et les rituels des troubles alimentaires étaient exportés dans le monde entier par le biais de la mondialisation ! Le fait d'être en première ligne pour témoigner de la vitesse à laquelle un discours internalisé complice de l'anorexie voyageait et se frayait un chemin à travers divers milieux sociaux et culturels a changé à jamais le cadre et la compréhension de ma pratique narrative.



Des années plus tard, j'ai démarré une enquête plus approfondie sur les pratiques internalisées très efficaces des problèmes (pour arriver finalement à 8 pratiques fondamentales). Et cette fois-ci, j'ai soutenu mon intérêt par le biais du prisme des écrits de Michel Foucault sur Jeremy Bentham et d'un projet architectural d'autosurveillance qu'il a appelé le Panopticon. J'ai également trouvé intéressant de passer de plus en plus de temps à essayer de pratiquer en cohérence avec les idées de Foucault sur le pouvoir/la connaissance, la subjectivation et le discours culturel internalisé.

Mon projet s'est donc attaché à examiner ce qu'était l'appareil discursif internalisé. Plusieurs questions se sont posées :
a) comment les discours de problèmes intenalisés et produits par la culture étaient fabriquées ;
b) quelles étaient les histoires liées aux discours de problèmes internalisés ;
c) quels étaient les habituels et dommageables systèmes de soutien du langage courant ;
d) comment les différentes pratiques conversationnelles s'accordaient et se soutenaient mutuellement ; et
e) les nombreuses façons dont l'autosurveillance s'exerce sur nos vies par le biais d'un public externe [de supporters] qui porte un regard jugeant suffisamment critique pour que les problèmes se développent et prospèrent.

À l'École de Thérapie Narrative de Vancouver, j'ai le privilège et le luxe de pratiquer et d'explorer tout ce qui me plaît. J'ai donc commencé un projet visant à établir des spécifications relationnelles de ce que les pratiques conversationnelles internalisées des problèmes "disaient" ; en situant les pratiques conversationnelles internalisées des problèmes dans le discours culturel, puis en explorant comment les gens réagissaient, à leur tour, à ce qui était dit.

Ce n'était pas une carte que je cherchais, cela ressemblait plus à une enquête criminelle.

Et pour être parfaitement honnête avec vous, pendant cette période de mes deuxième et troisième séries d'explorations sur le projet des pratiques conversationnelles très efficaces des problèmes, j'ai personnellement vécu les bouleversements qui accompagnent une rupture importante. Ainsi, une partie de ce qui suit est saupoudrée de la poussière de fée de mon savoir local et pourrait être plus qu'autobiographique.

En marge de cette déclaration qui dit que je serai "parfaitement honnête avec vous"... veuillez garder à l'esprit une citation de Judith Butler que j'aime beaucoup :

[Il y a, semble-t-il, chez Foucault un prix à payer pour dire la vérité sur soi, parce que ce qui va précisément constituer la vérité est cadré par des normes et par des modes spécifiques de rationalité émergeant historiquement et, de ce fait, contingentes. Dans la mesure où nous disons la vérité, nous nous conformons à un critère de vérité, et nous acceptons que ce critère de vérité nous détermine. Si l’on accepte que ce critère nous détermine, on accepte de manière primaire et sans remise en question la forme de rationalité dans laquelle on vit. Ainsi, [...]

"Dire la vérité a un prix, et ce prix équivaut à la suspension de la relation critique au régime de vérité dans lequel on vit."

[J. Butler, Le Récit de soi, p. 123]

Dans l'étude et la documentation de fond sur les productions des discours internalisés des problèmes, il est apparu que les discours des problèmes n'avaient pas un lieu d'origine unique. Ni un point de départ principal dans l'Histoire. Les problèmes ont plutôt des récits contextuels, que nous pourrions autrement considérer comme un processus historique de "problématisation".

Pour Foucault, la problématisation est une forme d'analyse, qui cherche à répondre aux questions de "comment et pourquoi certaines choses (comportements, phénomènes, processus) sont devenues un problème". Le processus d'enquête ne cherche pas à savoir "ce qu'est un problème", mais plutôt comment, au cours d'une certaine période de l'Histoire, le problème a été produit et interprété culturellement. C'est à ce moment que ce que je faisais est devenu le Projet de problématisation.

Pour l'anorexie, le problème est apparu tardivement dans la partie diagnostic psychologique (vers la fin des années 70) et a engendré de nombreux espaces discursifs d'influence et d'autosurveillance concernant les spécificités culturelles des corps, les prescriptions sur la responsabilité personnelle, la tyrannie de la perfection, le regard des hommes, etc. Les espaces discursifs d'influence et d'autosurveillance/avec ses supporters ne sont bien sûr pas seulement propres à la question de l'anorexie, car les espaces discursifs influencent la façon dont nous en venons à considérer et à présenter les problèmes, les valeurs, les intentions et les actes relationnels de la personne.

Laissez-moi essayer de dire ce que j'essaie de dire d'une autre manière : dès le berceau, nous apprenons nos codes culturels par l'imitation de tout ce à quoi nous sommes reliés. Nous copions ce que nous regardons et entendons. Il s'agit d'une observance rituelle. Nous apprenons de ceux qui ont appris avant nous : à marcher, à se brosser les dents, à faire du vélo, à épeler des mots, à faire l'amour, à travailler, à parler la langue et à adhérer à certaines valeurs et bonnes manières.

Il semble que nous façonnons notre discours et nos façons de vivre et de voir le monde par le biais d'un "karaoké" fragmenté et internalisé des autres, sachant que les autres font la même chose. Nous chantons leurs chansons sur le bien et le mal et nous les codifions en vers culturels. Et dans l'espace discursif génératif de notre monde vivant, les possibilités narratives peuvent être structurellement déterminées, comme le souligne Humberto Maturana. Cependant, elles ne sont ni restreintes ni limitées pour exclure la multiplicité et la combinaison de rimes et de paroles alternatives. Du problème naît la différence et la créativité. Le rythme est soutenu, nous passons du bebop au jazz.

D'après mon expérience personnelle et professionnelle, une idée a continué à émerger qui était, en quelque sorte, une idée assez simple que j'avais déjà eue. En tant que citoyens de la communauté, nous participons à une pratique de conversations internalisées avec nous-mêmes (et les autres représentations) comme moyen de nous mesurer au monde extérieur. Nous essayons de déterminer si nous nous intégrons, si nous sommes acceptables, en nous demandant si nous sommes "normaux" (c'est-à-dire si nous sommes un parent, un employé, un partenaire, une personne normale, etc.) et en parcourant les conséquences imaginaires si nous ne sommes pas considérés comme normaux par les autres personnes qui nous regardent. Autosurveillance/avec ses supporters.

Un récent retour à ma fascination croissante pour notre rôle et notre réponse aux conversations internalisées m'a ramené aux écrits de Michel Foucault sur le Panopticon. Pour une brillante discussion sur le sujet, je vous renvoie à la conférence du philosophe Todd May sur Foucault, l'autosurveillance et le Panopticon dans les conférences récentes du TCTV.live.

En résumé, le Panopticon est une forme architecturale développée par Jeremy Bentham au XVIIIe siècle. Bentham a proposé cette forme architecturale comme un modèle "idéal" pour l'organisation ou la disposition des personnes dans l'espace d'une manière qui les forge réellement comme des corps dociles ; des corps qui pourraient être plus facilement transformés et utilisés. Il l'a considérée comme idéale en ce sens qu'elle maximiserait l'efficacité des personnes tout en minimisant les efforts nécessaires à leur surveillance (dans les bureaux, les salles de classe, les prisons, etc.). Le Panopticon a été envisagé comme un modèle de pouvoir efficace et économique.

En tant que forme architecturale, le Panopticon se présentait sous la forme d'un bâtiment circulaire avec une cour au centre ou une suite de bâtiments disposés autour d'une cour. Le bâtiment pouvait avoir plusieurs niveaux, chaque niveau a l'épaisseur d'une seule pièce. Chacun de ces espaces individuels faisait face à une tour d'observation qui était située au centre de la cour. Cette tour abritait les "gardiens", et ses niveaux correspondaient précisément aux niveaux du bâtiment circulaire. Depuis cette tour, les gardiens de l'organisation pouvaient avoir une vue constante sur toutes les activités se déroulant dans les différents espaces. La vue des gardiens était facilitée par le rétro-éclairage de chaque espace. Rien ne pouvait échapper à l'examen. Les personnes se trouvant dans les espaces devaient être l'objet d'une observation perpétuelle. Cependant, les gardiens n'étaient jamais visibles pour les personnes se trouvant dans les différents espaces individuels. La tour a été conçue de manière à ce que ces personnes ne puissent pas voir à l'intérieur de la tour.

Le but du Panopticon était que les personnes dans les espaces ne puissent jamais détecter si elles étaient observées à un moment donné. Ces personnes n'avaient pas d'autre choix que de supposer qu'elles pouvaient être des sujets soumis au regard d'un gardien à tout moment. Elles se considéraient comme les sujets d'un regard omniprésent. Ce mécanisme de pouvoir avait pour effet d'inciter les personnes à agir comme si elles étaient toujours observées, toujours jugées et surveillées.

Suite aux journées de recherche thérapeutique conjointe avec les expériences des clients et mon observation personnelle, j'ai finalement répertorié 8 pratiques conversationnelles très efficaces des problèmes.

Les 8 pratiques conversationnelles très efficaces et favorites des problèmes que j’ai choisies sont :

  1. l’Auto surveillance/ses supporters,
  2. le Sentiment d’Illégitimité,
  3. l’Angoisse,
  4. les Représentations négatives/les Comparaisons dévalorisantes,
  5. les Querelles intérieures,
  6. la Culpabilité,
  7. le Désespoir, et
  8. la Perfection.


En énumérant ces 8 pratiques, je me rends compte que beaucoup d'entre vous pourraient très bien argumenter pour inclure d'autres conversations de problèmes internalisés tels que la colère, l'inquiétude, la honte et une tonne d'autres.

Mon désir n'étant pas de vous surcharger dans cette lettre d'information, j'ai décidé de partager une courte discussion mettant en évidence mon expérience du travail aux côtés d'une pratique conversationnelle internalisée très efficace : l'Autosurveillance/et son public de supporters. J'ai cependant déjà consacré du temps à écrire sur les 7 autres.

1. Autosurveillance/ses supporters : une synthèse rapide et simple du troisième mode d'objectivation de Michel Foucault analyse la façon dont les êtres humains se transforment eux-mêmes en sujets, ce qu'il a identifié comme étant de la subjectivation.

De mon point de vue de profane, la subjectivation implique les processus d'autoformation où la personne est active. Foucault s'intéresse principalement à l'isolement des techniques par lesquelles les gens initient "leur propre" autoformation active. Foucault soutient que cette autoformation a une histoire longue et compliquée puisqu'elle a lieu à travers une variété d'opérations sur le corps, les pensées et la vie des personnes.

Ces opérations se caractérisent par un processus d'autocompréhension par le biais d'un dialogue internalisé qui s'appuie sur des normes culturelles externes. Foucault suggère que les gens se surveillent et se conduisent en fonction de leur interprétation de ces normes culturelles établies. Et pour autant que je puisse en juger, il considère le processus de discours personnel internalisé, les conversations que nous internalisons relationnellement de la culture vers la représentation de nous-mêmes, comme un acte de maîtrise de soi guidé par des normes sociales établies.

Il semble que cette expérience devienne problématique lorsque nous sommes confrontés à un processus de questionnement relationnel internalisé impliquant la surveillance/et son public de supporters, qui ressemble à quelque chose comme ça : je pense que vous pensez que les autres pensent que j'ai fait quelque chose de mal en tant que personne, partenaire, fils, employé, etc.

C'est la représentation internalisée de ce que le regard des autres observateurs pourrait signifier qui se conjugue à une expérience croissante de plusieurs conversations entrecroisées de représentations négatives/internalisées (c'est-à-dire que l'Autosurveillance/et son public de supporters pourrait être combiné à la culpabilité et aux représentations négatives, etc.)

Je pense être prêt à ce stade à aller jusqu'à dire que sans une autosurveillance négative internalisée agissant aux côtés d'un public soutenant des récits dommageables, un problème a beaucoup de mal à survivre. Et si cette proposition s'avérait avoir un quelconque poids, il serait peut-être sage pour la thérapie narrative de prendre davantage en considération cette dimension politique.

Laissez-moi essayer d'expliquer l'expérience de l'autosurveillance/et son public de supporters d'une autre manière. Imaginez le scénario suivant : vous êtes un thérapeute professionnel engagé pour travailler dans le domaine de la santé "mentale". Vous avez peut-être étudié les couples et les familles à l'université pendant plus d'une dizaine d'années de votre vie et vous avez travaillé très dur en participant à des ateliers, des formations et en vous asseyant sur la chaise du thérapeute pendant des milliers d'heures pour apprendre le métier particulier de la thérapie de couple et de famille. Cela vous a permis d'acquérir une excellente réputation auprès de vos collègues, de votre famille et de vos pairs.

Puis un jour dans cette histoire, une profonde souffrance s'installe, une souffrance inspirée par un événement complexe. Dans ce cas, nous utiliserons le choc d'une rupture relationnelle intime. Vous savez à 100% que la rupture relationnelle est préférable. Cependant, vous vous retrouvez toujours face à de nouvelles rencontres avec des niveaux de tristesse et d'inquiétude et des niveaux de confusion inconsciente comme vous n'en avez jamais connu auparavant. Des brèches s'ouvrent, des failles dangereuses apparaissent dans lesquelles vous ne voulez pas tomber. Des possibilités de changement. Des allers et retours. D'autres fossés. Des dérapages. Vous vous dites de faire attention au prochain fossé, mais vous avez oublié comment faire.

Dans ces fossés s'inscrit un jugement négatif et un public imaginaire que vous avez l'impression de voir en face. Dans l'endroit le plus vulnérable de votre vie privée, un public imaginaire vous dit : "Je pense que vous pensez que je pense que vous pensez que j'aurais pu et dû faire mieux". Cela devient la soirée d'un club de représentations négatives ! Ce sont des voix, souvenirs et opinions indésirables, et des expériences internalisées engageant diverses institutions, héritages, souvenirs, discours et individus.
Ce n'est pas de la paranoïa. C'est pire.

Imaginez : vous vous retrouvez soudain à vivre dans un train qui ne fait pas d'arrêt, à faire des allers-retours dans un cycle de nuits sans sommeil, à ne pas pouvoir retenir une pensée avant qu'une autre vienne, rapidement remplacée par une autre et encore une autre. Votre première rencontre au réveil est celle de dix personnes qui planent et jacassent au-dessus de votre lit, "réveillez-vous esprit endormi". Certains sont morts depuis longtemps, d'autres vivent sur la route, et votre oncle préféré apparaît, même lui ( !) se demande de quel côté de la ligne "est-il un abruti" il se tient. D'autres, que vous avez essayé d'oublier, se faufilent dans l'espace à la recherche d'un endroit où fouiller. Les personnes que vous respectez auraient pu avoir la décence de se retirer et de vous offrir un peu d'intimité. Rassemblés pour une étrange raison cosmique dans la même pièce vide, ils expriment des théories sur les relations et les valeurs, les impératifs moraux et les responsabilités, même les curés (d'où viennent-ils, bon sang). Le jeune homme de 20 ans que vous étiez vous crie que le mariage n'est qu'un contrôle et une violation de la vie privée par l'État, quelque chose que vous n'avez jamais pu faire comprendre à votre mère, et vos ex-copines vous rappellent sans cesse les histoires que vous avez foirées avec elles. Mais vous savez que ce n'est pas une interprétation juste et équitable, ça ne l'a jamais été, mais ils sont là, dans le coin des orateurs, aux côtés de vos meilleurs amis qui ne savent pas s'ils doivent rire ou pleurer ou quoi dire pour calmer la tempête, à la recherche du vous que vous étiez et qu'ils connaissaient et aimaient, vous demandant poliment de retrouver votre calme. Kind of Blue [dans les années 1950, Miles Davis commence à personnaliser ses instruments ; à l’époque de l’enregistrement de son album phare, le jazzman joue avec une trompette recouverte d’un vernis bleu-vert "kind of blue", couleur qui prêtera son nom à l’album]. La naissance du cool [jazz]. Miles Davis est la seule et unique personne qui n'est pas là ce matin.

Et tout ce brouhaha absurde, hallucinant et internalisé avant la première lumière du matin et le premier café ingurgité, et vous souhaitez au fond de vous, vous le souhaitez vraiment, siroter un cocktail. Mais alors, juste à ce moment-là, des anxiétés et des doutes sont transmis concernant le fait de prendre soin de soi et de se maintenir en bonne santé, d'avoir manqué des cours de yoga et, c'est reparti, à propos des années de tabagisme et les souvenirs d'une vie de sportif malgré les longues nuits, car c'était toujours la même chose que je retrouvais dans ce débat unilatéral de ce matin, avec ce foutu Deepak Chopra [méditation] et les rêves de jeunesse perdus de devenir joueur de hockey professionnel. La conversation se déroule en hurlant autour de la spirale de l'incertitude et des échecs et se prolonge dans les pires scénarios, alors qu'une voix sinistre au dernier rang crie "vous ne travaillerez plus jamais dans cette ville" avec un choeur de clients, des étudiants, des mentors et des collègues faisant des signes de tête tristes et des tut-tut-tuts, disant qu'il avait un avenir si brillant, qu'il aurait pu être un prétendant ... et une petite voix venue de nulle part dit "tous les coups sont permis", mais je ne sais pas où riposter [boxe] alors que mon père me l'a appris pendant des heures et des heures et des heures. Il y a une pause. Le café est prêt, et il n'y a nulle part où aller. Et ainsi de suite. Jusqu'au matin, ce temps mort de l'espoir.

Bienvenue dans la vie sociale des conversations de problèmes internalisés, mes amis. Et ce que vous avez entendu, c'est la version Disney. Aah !

Sans un projet de déconstruction réfléchi et imaginatif pour faire face au discours dommageable des conversations internalisées, il y a de fortes chances que j'aurais passé plus de temps que nécessaire à souffrir. Engagez-vous dans le processus que j'ai créé et qui s'appelle Questions de contre-enquête. Il n'y a pas de place pour un exposé trop long, alors en résumé :

  1. La contre-enquête est un mode intensément critique de lecture des systèmes conversationnels de construction du sens et de déconstruction des façons dont ces systèmes fonctionnent pour dominer et nommer négativement.
  2. La contre-enquête considère toutes les conversations internalisées des problèmes comme des moyens d'inciter les personnes à prendre certaines idées normatives pour acquises et à privilégier certaines manières normatives de connaître et de vivre avec les autres.
  3. La contre-enquête est un détricotage des activités de la culture par une sorte d'anti-méthode qui résiste à la prescription. Il s'agit de chercher comment un problème est produit et reproduit plutôt que de vouloir le définir et dire ce qu'il est réellement.
  4. La contre-enquête consiste à chercher comment notre compréhension et notre marge de manœuvre sont limitées par les lignes de persuasion qui opèrent dans les discours.
  5. La contre-enquête nous amène à explorer les façons dont notre compréhension des problèmes se positionne dans le discours.
  6. La contre-enquête nous permet de réfléchir à la façon dont nous faisons et refaisons nos vies à travers des projets politico-moraux ancrés dans un esprit de justice plutôt que dans des vérités normatives.


En tant que thérapeute narratif, je pose les questions de contre-enquête suivantes avant la séance :

  1. Qui/qu'est-ce qui constitue le public des supporters/un porte parole ?
  2. Qu'est-ce que le brouhaha de ces conversations dit ?
  3. Comment fonctionne-t-il pour étayer son argumentation ?
  4. Par quels moyens les supporters de l'autosurveillance se soutiennent-ils ?
  5. Qui/qu'est-ce constitue le public soutenant la conversation du problème ?
  6. Qui/qu'est-ce qui constitue inversement le public en votre faveur ?
  7. Quels sont les principaux discours dont l’influence a un impact sur votre système d’autosurveillance interne ?
  8. Quand l’auto surveillance se trouve t elle le mieux encouragée ?


D'après mon expérience, les conclusions négatives sur l'identité, tirées de l'autosurveillance/ses supporters dommageable, déconnectent les personnes des conclusions alternatives sur l'identité relationnelle. La mise en oeuvre d'un riche processus de reconnexion relationnelle vers l'appartenance, la différence, la protestation et la réminiscence des contre-histoires que les personnes racontent sur qui elles sont, qui elles ont été et qui elles pourraient devenir, est cruciale pour que le changement se produise.

Eh bien, c'était amusant, n'est-ce pas ? Ah !
Merci d'avoir consacré un peu de temps à lire cette lettre d'information et n'hésitez pas à m'écrire directement si vous avez des commentaires, des critiques ou des questions à yft@telus.net.

Prenez soin de vous. Restez en sécurité et faites attention à l'autosurveillance/aux supporters pendant cette période de grande vulnérabilité pendant ces jours de confinement.
Stephen

P.S. : passer du temps confiné à Vancouver m'a également permis de vivre les moments dont je rêvais, en travaillant sur les finitions de notre site d'apprentissage interactif en ligne sur la thérapie narrative TCTV.live.

TCTV.live est conçu pour le thérapeute narratif qui s'assied dans le fauteuil du thérapeute jour après jour. Parce que les expériences que nous vivons en étant assis, en écoutant et en travaillant avec nos clients jour après jour ne sont pas des expériences que les "civils" peuvent pleinement comprendre.

Et c'est normal que les civils n'aient aucun moyen de comprendre parce que nous avons les uns et les autres réellement l'expérience de nous asseoir dans le fauteuil du thérapeute jour après jour.

Au cours des deux derniers mois, le nombre d'adhérents a augmenté de façon exponentielle.
Merci et bienvenue à la fête !



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